L’avertissement du général Ract-Madoux, chef d’état-major de l’armée de Terre

Le nouveau Livre Blanc sur la Défense et la sécurité nationale (LDBSN) sera enfin remis au président Hollande le 29 avril. A partir de son contenu, la Loi de Programmation Militaire 2014-2019 sera préparée puis discutée au Parlement.

Le constat qui devrait être établi par ce document de référence, qui, à l’origne, n’aurait dû être qu’une simple réactualisation de l’édition de 2008, est que le monde n’est pas moins dangereux qu’il y a 5 ans. A la différence près qu’il faudra faire avec des moyens financiers réduits. C’est là un débat que l’on peut avoir : faut il se donner les moyens de ses ambitions ou bien adapter ces dernières à nos moyens?

Quoi qu’il en soit, des choix devront être fait. En clair, il faudra renoncer à certaines capacités. Et cela d’autant plus que le budget de la Défense sera, au mieux, maintenu à son niveau actuel, sans prise en compte de l’inflation, alors que les ressources jusqu’à présent allouées à l’Hôtel de Brienne permettent de disposer de garder un « format d’armée juste insuffisant » selon un rapport du Sénat. Et encore, cette équation reposerait, pour 1,9 milliard d’euros en 2014, sur des recettes exceptionnelles qui ont le vilain défaut d’être aléaoires, tant sur leur montant que sur le moment où elles seront effectivement encaissées.

Donc, il faudra faire des choix. La sanctuarisation de la dissuasion nucléaire voulue par le président Hollande suggère que la Marine nationale devrait être la moins touchée par les efforts budgétaires (ce qui ne veut pas dire qu’elle ne le sera pas…). Elle devrait donc conserver ses 4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), ce qui suppose aussi de garder 6 sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) Barracuda. C’est un niveau incompressible car ces derniers assurent la protection des SNLE tout en permettant la formation des équipages de ces derniers.

D’ailleurs, Patricia Adam, la présidente de la commission de la Défense à l’Assemblée nationale a affirmé que le programme « Barracuda » n’était absolument pas menacé. Tout comme le nombre de frégate multimissions (FREMM) de la classe Aquitaine, qu’il est « impensable » de diminuer pour la parlementaire bretonne. Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, qui confesse un « faible » pour la Marine, a quant à lui indiqué, lors d’un déplacement à l’Ecole de Maistrance, le 20 avril, que sa position à ce sujet « n’était pas arrêtée ».

En outre, si la Royale ne devrait pas avoir de second porte-avions, elle gardera le Charles de Gaulle. Des rumeurs ont circulé sur sa possible mise en vente. Or, sanctuarisation de la dissuasion oblige, elle ne peut pas être envisagée étant donné que le navire met en oeuvre, avec ses Rafale M, la FANu, la Force aéronavale nucléaire. Enfin, comme la France dispose du second plus important domaine maritime du monde (Zone Economique Exclusive – ZEE), elle ne pourra pas faire l’économie de remplacer ses patrouilleurs, dont les plus anciens ont été envoyés à la ferraille ou cédés à d’autres pays, dans le cadre du programme BATSIMAR.

Si la Marine nationale sera donc moins impactée par les contraintes budgétaires et que des choix seront faits, forcément, l’armée de l’Air et l’armée de Terre auront à faire des efforts supplémentaires. Qui plus est, des équipements structurants qui auraient dû être acquis ou modernisés, comme le prévoyait la précédente LPM, attendent toujours de l’être. Or, l’on voit mal comment cela pourrait changer dans les années qui viennent…

L’on ne pourra pas reprocher aux chefs d’état-major des trois armées, ainsi qu’au chef d’état-major des armées (CEMA) de ne pas avoir prévenu les responsables politiques qui auront à faire les choix concernant les moyens à donner à la défense. Lors de leurs auditions parlementaires, ils ont toujours fait part des problèmes et des conséquences que certaines décisions pouvaient avoir avec franchise.

Ce qu’a encore fait le chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT), le général Ract-Madoux, dans sa dernière lettre d’informations destinées aux associations. « Concernant les travaux du Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité nationale, vous comprendrez que dans l’attente de leur publication, je sois astreint à une certaine prudence », écrit-il dans son éditorial.

« Cependant, ceux-ci devraient réaffirmer les priorités stratégiques de la France et surtout confirmer la pérennité des déséquilibres et des menaces mis en lumière en 2008. Il apparaît en effet que s’il y avait rupture, elle serait davantage liée au contexte économique et financier qu’à l’environnement stratégique », explique-t-il.

Et d’ajouter : « N’offrant pas de perspective claire, cette rupture risquerait de nous conduire vers l’obligation d’adapter aux seuls objectifs budgétaires de court terme, un outil de combat qui vient de se réformer profondément entre 2008 et 2013 et qui a en même temps prouvé toute sa pertinence et son efficacité lors des opérations récentes en Afghanistan ou au Mali. »

Aussi, pour le CEMAT, « face à une crise économique sans précédent et particulièrement difficile en Europe, il est essentiel de préserver le format général et la cohérence de l’ensemble de l’armée de Terre et de ne pas sacrifier des structures et des organisations éprouvées aux tentations du court terme » car « l’expérience montre que toute capacité abandonnée est définitivement perdue.

Et cela d’autant plus, souligne le général Ract-Madoux, que les forces terrestres jouent « un rôle central dans le succès des opérations. » « Nos dirigeants ne pourront se passer de l’engagement de troupes au sol, en quantité et dans la durée, dès lors qu’il s’agira de marquer la détermination politique de la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies et acteur volontariste au sein de l’OTAN et de l’Europe de la défense. Voilà pour moi tout l’enjeu des travaux à venir de la LPM qui doit être votée à l’automne 2013 », a-t-il fait valoir.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]