Le gouvernement afghan est dans la nasse

Le mois dernier, le directeur national du renseignement américain (DNI), James Clapper, s’était montré beaucoup moins optimiste que les responsables du Pentagone au sujet de l’avenir de l’Afghanistan. Et les récents évènements qui se sont produits dans ce pays tendent à lui donner raison.

1- Des négociations impossibles entre les autorités afghanes et le mouvement taleb

Le président afghan, Hamid Karzaï, ne sera plus au pouvoir lorsque les dernières troupes de l’Otan auront quitté son pays, à la fin de l’année 2014. Mais cela ne l’empêche pas de préparer cette échéance, laquelle est attendue également par le mouvement taleb dirigé depuis Quetta (Pakistan) par le mollah Omar.

Aussi, depuis quelques semaines, les autorités afghanes haussent le ton à l’égard des Etats-Unis et de leurs alliées. Récemment, le président Karzaï est allé même jusqu’à accuser Washington d’être de mèche avec les taliban. Plus tôt, il avait demandé aux forces spéciales américaines de quitter la province du Wardak en les rendant responsables d’actions litigieuses présumées. La dernière charge en date est celle de son porte-parole, Aimal Faizi, lequel a déclaré, le 19 mars, que « la guerre menée par l’Otan depuis onze ans en Afghanistan est sans but et déraisonnable. »

En agissant de la sorte, le président Karzaï tente sans doute de s’attirer les bonnes grâces de la population afghane, dont la majorité est hostile à la présence de troupes étrangères sur son territoire. Le départ de ces dernières est d’ailleurs l’un des objectifs du mouvement taleb, qui en a fait un préalable à toute négociation de paix.

Et il est clair que la stabilité future de l’Afghanistan passe par un dialogue avec les parties en conflit. D’où les efforts de Washington pour discuter avec les taliban. A cette fin, il a été permis à ces derniers d’ouvrir un bureau au Qatar. En mars 2012, les discussions entre les diplomates américains et les représentants du mouvement taleb se sont soldées par un échec.

D’abord hostile à cette initiative, le président Karzaï s’y est finalement rangé. D’où son déplacement, le 31 mars, à Doha, pour évoquer le processus de paix avec l’émir du Qatar. Seulement, il n’est pas question pour le mouvement taleb, qui a par ailleurs des liens présumés avec les services secrets pakistanais, de négocier quoi que ce soit avec les autorités afghanes actuelles. Ils l’ont déjà fait savoir d’une sanglante manière en assassinant, en septembre 2011, l’ancien président Burhanuddin Rabbani, qui dirigeait le Haut conseil pour la paix, instauré deux ans plus tôt à Kaboul.

« L’ouverture d’une représentation talibane au Qatar n’est pas liée à Karzaï. C’est une question qui regarde les talibans et le gouvernement qatariote », a déclaré Zabiullah Mudjahid, leur porte-parole, la veille de l’arrivé du président afghan à Doha. Et d’insister : « Nos représentants qui sont déjà au Qatar ne le verront pas et ne lui parleront pas. »

2- Des insurgés afghans toujours aussi actifs

Jusqu’au 4 avril dernier, l’ouest de l’Afghanistan était relativement épargné par les violences. Ce n’est en effet plus le cas, avec l’attaque d’un tribunal à Farah, laquelle a fait 44 tués, dont 34 civils. Il s’agit de l’assaut le plus meurtrier commis par les insurgés afghans depuis l’attentat du 6 décembre 2011 contre la communauté chiite ors de la fête de l’Achoura à Mazar-i-Sharif et à Kaboul (80 tués).

Selon les taliban, cette attaque a été commise avant « le procès injuste » de « plusieurs prisonniers, dont des moudjahidines » par les « autorités provinciales fantoches. » L’assaut a été réalisé avec des véhicules 4×4 Ford Ranger que seules les forces aghanes utilisent. Ce type d’action vise d’abord à discréditer les autorités de Kaboul et à contester leur légitimité.

Qui plus est, le niveau de violence n’a pas baissé en 2012, contrairement à ce qui avait été initialement avancé par le Pentagone. Et l’on ne connaîtra pas l’évolution de la situation étant donné que l’Otan a décidé de plus compter les attaques ayant eu lieu sur le territoire afghan, estimant que cette statistique n’était pas pertinente.

Dans certaines provinces, les forces afghanes ont du mal à tenir le terrain. Ainsi, Adam Baczko, doctorant à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), expliquait récemment à l’Express que c’était le cas notamment dans la province de Kunar, qu’il connaît bien pour y avoir séjourné à plusieurs reprises. « Les talibans contrôlent déjà les villages. Après le départ des Américains, je serais très étonné s’ils ne possédaient pas la province entière », avait-il affirmé.

3- Des forces afghanes fragiles

A force de s’en prendre à l’Otan, le président Karzaï pourrait ne pas accorder l’immunité juridique aux militaires américains, condition sine qua non pour que Washington décide de maintenir un contingent en Afghanistan afin de soutenir les forces locales.

Et pourtant, ces dernières auront besoin d’être épaulées pendant un moment. Désormais en première ligne sur 75% du territoire et ne disposant pas de capacités aériennes propres, elles présentent un taux d’attrition très important. Ainsi, en un an, leurs pertes humaines ont été aussi élevées que celles de l’armée américaine en 11 ans de conflit.

4- Des relations tendues avec le Pakistan

L’une des raisons expliquant les difficultés à vaincre l’insurrection afghane se trouve au Pakistan, où le mouvement taleb et ses alliés idéologiques ont établi leurs bases arrières, avec le soutien présumé des services de renseignement pakistanais (ISI). Ce n’est pas nouveau. Déjà, en 1996, Islamabad avait aidé les talibans à prendre le pouvoir à Kaboul, afin de disposer de profondeur stratégique face à l’Inde et de s’assurer de la sécurité des convois venant d’Asie centrale.

Les relations entre l’Afghanistan et le Pakistan ont été difficiles ces dernières années. Mais, récemment, elles semblaient se réchauffer. Jusqu’à ce qu’un incident frontalier fasse tout dérailler. En effet, des tirs d’artillerie pakistanais ont atteint la province afghane de Kunar, le 26 mars dernier. Inacceptable pour Kaboul, qui a annulé une visite de 11 de ses militaires à Quetta, où ils devaient assister à un exercice.

L’affaire aurait pu en rester là… Sauf que l’ISI a accusé Kaboul d’aider le mouvement taleb pakistanais, responsable d’une vague d’attentats sanglants dans le pays. « Le soutien fort aux mécréants via des approvisionnements d’armes, l’entraînement et le financement d’éléments anti-pakistanais, venant en particulier de l’autre côté de la frontière, est l’un des principaux facteurs de croissance des militants », a-t-il affirmé dans un rapport présenté à la Court suprême pakistanaise.

5- La culture du pavot impossible à éradiquer

L’Afghanistan produit, chaque année, 90% de l’opium mondial. Ce qui n’est pas sans causer des problèmes à la fois de sécurité (crime organisé) et de santé publique. La Russie, où 21% de l’héroïne afghane est consommée, appelle régulièrement à ce que des mesures fortes soient prises pour éradiquer, ou au moins réduire, ce phénomène.

Le marché des opiacés profite surtout aux insurgés afghans, lesquelles en tirent au moins 100 millions de dollars par an pour financer leur guérilla. Et il constitue l’une des sources de revenus les plus importantes dans une économie qui sera davantage fragilisée avec le départ des dernières troupes de l’Otan tout en alimentant la corruption, endémique en Afghanistan.

Face à ce phènomène, les autorités afghanes ont fixé comme objectif la destruction de 15.000 hectares de champs de pavot, alors que, rien que pour l’année 2013, 157.000 hectares ont été ensemencés par les paysans afghans, soit 3.000 de plus par rapport à l’an passé. Ce type d’opération n’est pas sans risque : 24 policiers et 7 soldats y ont récemment perdu la vie. « Nos ennemis utilisent des mines et même des snipers pour viser nos hommes alors qu’ils procèdent à l’éradication » des champs visés, a expliqué Hamayun Faizad, un responsable du ministère de Lutte antidrogue.

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