Affaire Mahé : Le colonel Burgaud assume avoir donné un ordre illégal

Le procès des quatres anciens militaires français de l’opération Licorne accusés de d’avoir pris part au meurtre, de Firmin Mahé, un chef présumé d’une bande de coupeurs de route, s’est poursuivi, hier, devant la cour d’assises de Paris avec les témoignages de deux d’entre eux, à savoir l’adjudant-chef Guy Raugel et le colonel Eric Burgaud.

Aux moments des faits, c’est à dire en mai 2005, des éléments français de l’opération Licorne étaient déployés en soutien de la force de l’ONU pour la Côte d’Ivoire (ONUCI) dans une zone tampon entre deux région, l’une étant contôlée par les rebelles, l’autre, par les troupes gouvernementales. En fait, il s’agissait d’un secteur de non droit, où populations civiles subissaient des exactions commises par des coupeurs de route et des miliciens, lesquels n’étaient inquiétés ni par la police, ni par la justice.

« On était écoeuré, on en avait marre, marre, marre, de voir des coupeurs de route qu’on arrêtait revenir en toute impunité recommencer leurs saloperies », a déclaré, devant la cour, l’adjudant-chef Raugel.

Suspecté d’être le responsable d’une demi-douzaine de meurtres et d’autant de viols Firmin Mahé, est reconnu, ce 13 mai 2005, lors d’une patrouille du peloton de reconnaissance et d’intervention antichar » (PRIAC) commandé par le sous-officier. Blessé par balle au genou après avoir pris la fuite, le coupeur de route présumé est retrouvé par les militaires français en fin de journée. Et c’est là que l’affaire va commencer.

En effet, l’adjudant-chef Raugel a affirmé avoir reçu l’ordre du colonel Eric Burgaud, , alors commandant du Groupement Interarmées n° 2, de faire en sorte que Firmin Mahé n’arrive pas vivant à l’hôpital. C’est ainsi qu’il va étouffer le blessé avec un sac plastique, à bord du blindé qui devait le transporter à Man.

Ayant reconnu les faits, le sous-officier a affimé qu’il était alors convaincu que sa hiérarchie allait « tout assumer », parce que « le chef, dans l’armée, est responsable de l’exécution de l’ordre qu’il donne. »

C’est ce qu’a fait le colonel Burgaud, quand est venu son tour de témoigner. « J’assume avoir donné un ordre illégal et d’avoir été lâche, indigne » a-t-il affirmé.

« Cette affaire a démarré à une vitesse hallucinante. En trois jours, j’ai été suspendu de mon commandement. L’officier que j’étais a été tué en trois jours. Il restait l’homme, j’avais alors deux garçons de 6 ans et demi et 5 ans qui n’étaient pas bien. Je n’ai pas tout dit parce que j’avais peur d’aller en prison et de perdre ce qui restait. Peur que ma famille parte avec tout ça » a encore confié l’officier, dont les propos à la barre ont été rapportés par le quotidien Le Monde.

Le colonel Burgaud a par ailleurs tenté d’expliquer les raisons qui ont conduit au meurtre du coupeur de route. « Quand vous voyez des gens qui n’ont rien fait se faire massacrer, des enfants découpés entièrement à la machette, une femme enceinte tuée volontairement à coup de chevrotine dans le ventre… J’étais choqué, c’était inacceptable » a-t-il raconté, ajoutant qu’il avait eu alors l’idée sur le moment « d’en buter un (ndlr, coupeur de route) à titre d’exemple ».

Visiblement, le colonel Burgaud n’était pas le seul à partager ce sentiment. A commencer, selon lui, par son supérieur direct, le général Poncet, alors commandant de l’opération Licorne et qui a bénéficié d’un non lieu dans cette affaire.

« Face à l’inacceptable, qu’est-ce que vous faites? Il y a des barrières, du légitime, du légal, des ordres. Ce combat de valeurs nécessite des choix. Le 13 mai, supprimer Mahé était la moins pire des solutions. C’est facile d’avoir le choix entre le bien et le mal. Le soldat choisit souvent entre le mal et le pire. Le pire, c’était de ne rien faire. A 100 mètres d’un poste de l’ONUCI, une nuit, des gens d’un village ont été mis dans une case à laquelle on a mis le feu. Chez moi, cela s’appelle Oradour. Est-ce acceptable ? Non » a poursuivi le colonel Burgaud.

Les mots de cet officier font penser aux dialogues du film « Le Crabe Tambour », de Pierre Schoendoerffer. « Moi, je ne ferai que ce je crois juste » lance le lieutenant de vaisseau Willsdorf (Jacques Perrin). « Balivernes, le choix de l’homme n’est pas entre ce qu’il croit le bien et le mal, mais entre un bien et un autre bien » lui rétorque le commandant (Jean Rochefort)….

Quoi qu’il en soit, le colonel Burgaud a maintenu sa ligne de défense, en affirmant que cet ordre « illégal », qu’il assume, venait du général Poncet, au commandement, selon lui « très direct et très impulsif ». Ce serait en effet lui, prétend l’ancien chef de corps du 13ème Bataillon de chasseurs alpins, qui aurait suggéré au peloton de l’adjudant-chef Raugel de « le remonter (Mahé) à Man par la route en prenant tout son temps. » Et d’ajouter : « Il fallait que Mahé arrive mort et ne s’échappe pas, c’est la compréhension que j’ai eu de l’ordre, comme tout le monde. »

« En tout état de cause, le général Poncet n’admet pas avoir donné cet ordre. Il a été assez habile pour ne pas être parmi nous ici, devant vous. L’indignité, maintenant, est dans son camp » a conclu le colonel Burgaud.

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