Les contraintes budgétaires menacent la cohérence de l’armée de Terre

L’avenir de l’armée de Terre ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices, si l’on en croit son chef d’état-major (CEMAT), le général Bertrand Ract-Madoux, qu fait état, avec franchise, de ses inquiétudes lors de son audition devant la commission de la Défense de l’Assemblée nationale, dans le cadre des débats portant sur le projet de loi de finances 2013.

Bien qu’elle soit la plus importante, en terme d’effectifs, que l’armée de l’Air et la Marine nationale, l’armée de Terre ne bénéficie que de 20% des crédits d’équipements  prévus dans le budget de la Défense (programme 146). Et pour le prochain exercice, c’est elle qui sera la plus affectée par les mesures d’économies, lesquelles se traduisent par le gel ou l’annulation de 5,5 milliards d’euros de commandes.

Ainsi, sur les années 2012 et 2013, l’armée de Terre aura « à contribuer à hauteur d’environ 40% du total des reports ou annulations en autorisations d’engagement ainsi que des crédits de paiement », selon le général Ract-Madoux. Et « cet effort apparaît encore plus disproportionné pour la seule année 2013, avec une part dans la réduction des engagements estimée à 76 % », a-t-il ajouté.

Le projet Scorpion, dans le cadre duquel seront remplacés les VAB (véhicules de l’avant blindé) et les chars AMX-10 RC et ERC-90 Sagaie, à bout de souffle, a été reporté. Idem d’autres programmes de moindre envergure mais tout aussi essentiels à la cohérence de l’armée de Terre, ces derniers étant « particulièrement propices aux économies de court terme. » Enfin, le 1er Régiment d’Artillerie (RA) attendra encore le LRU (lance-roquettes unitaires), dont la commande était une contrepartie d’une réduction de format de l’artillerie.

« Déjà, après les dernières grosses commandes des programmes majeurs de 2009, véhicule blindé de combat et d’infanterie (VBCI et FELIN), 2010 et 2011 ont été des années d’étiage » a expliqué le CEMAT. « La reprise devait être amorcée en 2012 (…), pour augmenter plus nettement en 2013 avec le lancement des programmes majeurs de l’armée de terre (…) En raison des mesures d’attente, 2012 aura donc été moins ambitieuse que prévue et l’année 2013 reprendra seulement certaines commandes prévues en 2012 » a-t-il ajouté.

Aussi, le général Ract-Madoux prévient : « Ces restrictions ne remettront pas en cause le modèle capacitaire de façon irréversible et permettront de ne pas préempter les décisions du Livre blanc et de la loi de programmation militaire à venir. Elles représentent, en revanche, une rupture très nette dans la trajectoire des ressources. Celle-ci menace à moyen terme la modernisation et donc la cohérence de certaines fonctions opérationnelles. »

Au final, les promesses du Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale (LBDSN) de 2008  n’ont pas été tenues pour ce qui concerne la seule armée de Terre. Le document avait été présenté, rappelle le général Ract-Madoux, comme la perspective d’une armée plus petite mais avec plus de moyens. Seulement, a-t-il poursuivi, « ce n’est en réalité pas le cas. » « Nous sommes aujourd’hui encore capables d’assurer les contrats opérationnels de 2008 mais plus de les soutenir dans la durée » a-t-il avancé.

Pour le CEMAT, la raison des difficultés de l’armée de Terre a une seule origine : « la lente et immuable érosion du budget de la défense », qui fait qu’elle n’a « plus aujourd’hui les moyens suffisants pour » faire fonctionner les équipements qu’elle a reçus depuis 2008, à cause de « la réduction des crédits consacrés au fonctionnement, à l’entretien du matériel et la contraction de la masse salariale. »

« Nous avons par exemple perdu, sur quatre ans, une année complète de crédits d’entretien programmé du matériel pour nos hélicoptères. Pour les autres équipements, nous avons perdu une part significative du budget. Dans le même temps, près de 4 000 postes de maintenanciers ou mécaniciens ont été supprimés » a souligné le général Ract-Madoux.

Outre les équipements, l’armée de Terre aura aussi à faire un effort significatif en matière d’effectifs, qualifié « d’avance sur les déflations prévues en 2014 et 2015 », avec la suppression d’environ 2 700 postes en 2013, ce qui va « au-delà de l’objectif fixé » par la Loi de Programmation Militaire (LPM) 2009-2014, « en raison d’une accentuation de la pente de déflation, consécutive aux décisions contenues dans la lettre plafond de cet été. »

A cela, il s’ajoute les restrictions concernant le tableau d’avancement, lesquelles « distillent injustement ressentiment et tension intercatégorielle » au sein des militaires de l’armée de Terre, qui, pour beaucoup d’entre eux, sont touchés par les incidents de paiement de soldes liés au passage au Logiciel Unique à Vocation Interarmées de la Solde.

Ces mesures concernant l’avancement, a poursuivi le général Ract-Madoux, ont « cristallisé la crise de confiance des militaires envers leurs hauts responsables ». « Les comparaisons avec le traitement différent dans d’autres ministères suscitent également de l’amertume » a-t-il souligné alors que, évoquant les réformes en cours, « peu de corps constitués de la fonction publique ont vécu des transformations de leur quotidien aussi importantes et aussi denses. »

Aussi, le moral des troupes s’en trouve affecté. « Je ne peux vous cacher, non plus, que l’adhésion aux réformes s’érode sensiblement. En l’absence de perspective d’améliorations rapides, la lassitude commence à gagner les esprits » a affirmé le général Ract-Madoux. Si les militaires de l’armée de Terre estiment « normal » de prendre part à « l’effort de redressement des finances publiques », ils espèrent aussi ne pas être oubliés « lorsque sera venu le moment de bénéficier du redressement de l’économie française », a encore plaidé le CEMAT.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]