Le scénario de la mort du colonel Kadhafi reconstitué par Human Rights Watch

Même si pour l’historien britannique Antony Beevor, « l’histoire est une branche de la littérature et non pas des sciences », ce n’est pas une raison pour raconter des histoires quand l’on se penche sur des évènements historiques récents, comme peut l’être la mort du colonel Kadhafi, à Syrte, le 20 octobre dernier.

Un journal italien a ainsi affirmé, il y a quelques jours, que l’ancien maître de Tripoli avait été exécuté par un agent de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), sans s’être assuré au préalable de la crédibilité d’une telle affirmation, laquelle a été reprise, sans plus de précaution, par d’autres journaux, notamment en France.

Cela étant, l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch (HRW) a voulu établir le fil des évènements ayant conduit à la mort du colonel Kadhafi. Pour cela, elle a mené une enquête de terrain, en allant interroger les personnes impliquées à des degrés divers dans cette affaire. Ses conclusions, assorties de nombreuses photographies, ont été publié dans un rapport d’une cinquantaine de pages intitulé « Mort d’un dictateur : Vengeance sanglante à Syrte. »

1/ Le 28 août 2011, alors que Tripoli vient de tomber aux mains des combattants révolutionnaires, le colonel Kadhafi se replie dans le district n°2 de Syrte, sa ville natale, avec le dernier carré de ses fidèles ainsi que Mutassim, son fils.

Sous la pression des insurgés, qui bombardent régulièrement le secteur où le dictateur s’est retranché, la décision de quitter les lieux est prise. Initialement, le convoi de 50 vehicules armés doit partir dès l’aube, afin de tromper la vigilance des combattants révolutionnaire. Finalement, le temps de rassembler tout le monde (250 personnes) oblige à différer l’heure du départ, qui a donc lieu à 8 heures du matin.

2/ Prenant la direction ouest, le convoi est arrêté une première fois par un barrage tenu par des miliciens venus de Misrata. Après un échange de tir, il part vers le sud. Seulement, le secteur est surveillé par un drone armé américain (un Predator), engagé dans le cadre de l’opération Unified Protector, commandée par l’Otan.

Ce dernier remarque le convoi suspect, dont on ignore, à ce moment-là, si le colonel Kadhafi en fait partie ou non. L’appareil piloté à distance tire un missile sur la colonne de véhicules et manque de peu celui où a pris place le dictateur.

3/ Pour autant, ce tir ne provoque pas de dégâts importants (si ce n’est des airbags déclenchés par le souffle de l’explosion). Le convoi bifurque alors vers l’ouest et tombe encore nez à nez avec des combattants révolutionnaires.

Un échange de coup de feu a de nouveau lieu et c’est à ce moment qu’il est atteint par deux bombes GBU-12 larguées par un Mirage 2000D de l’armée de l’Air. Peu de temps avant, la colonne de véhicules auraient pu être touchée par des F-16 belges, qui venaient d’être relevés par la patrouille française.

Les dégâts provoqués par les deux bombes sont considérables. Selon HRW, 14 véhicules sont détruits et 53 personnes sont tuées (28 sur le coup, 23 autres des suites de leurs blessures, non soignées).

4/ Pour autant, le colonel Kadhafi en sort indemne. Avec une quinzaine de ses fidèles, il tente de s’échapper en empruntant un tunnel d’irrigation. Là encore, des échanges de coups de feu ont lieu.

Un de ses gardes du corps lance des grenades. L’une d’entre elles ricoche et retombe sur le groupe. S’en saisissant une nouvelle fois, elle lui explose dans les mains, blessant également le colonel Kadhafi. Cette fois, la partie est finie, il est encerclé par les miliciens de Misrata. La scène a été filmée et largement diffusée sur Internet.

5/ La situation va ensuite dégénérer. Le colonel Kadhafi est violemment frappé, il reçoit même un coup de baïonnette dans le postérieur. Autrement dit, il est lynché (ce qui laissait supposer les vidéos prises à ce moment là). Transporté en ambulance à l’ambulance, il serait « très certainement » arrivé mort à Misrata, deux heures plus tard.

Cela contredit donc la version officielle donnée par les autorités de transition libyennes, qui ont toujours affirmé que le colonel Kadhafi avait été tué dans un échange de tirs.

Mais le plus grave reste encore l’attitude des miliciens de Misrata à l’égard des membres de l’escorte du colonel Kadhafi. Selon HRW, 66 d’entre eux ont été capturés, désarmés et battus, avant d’être sommairement exécutés près de l’hôtel Mahari.

Le fils du dictateur, Mutassim, aurait également subi le même sort. D’après l’organisation, il a été photographié en train de discuter avec des combattants révolutionnaires tout en fumant une cigarette. Et son corps sera retrouvé quelques heures plus tard,  » avec une nouvelle blessure au cou qui n’était pas visible dans les premières images. »

Le directeur des urgences de HRW, Peter Bouckaert, a ainsi demandé aux autorités libyennes d’ouvrir une enquête sur « ces exécutions de masse du 20 octobre 2011 », qui restent « les plus graves abus commis par les forces de l’opposition » au cours du conflit en Libye.

Cette demande a été appuyée par la diplomatie américaine. « Nous demandons instamment au gouvernement libyen une véritable enquête sur ces affirmations (de HRW) et nous voulons qu’il poursuive les auteurs de ces faits, conformément aux obligations internationales de la Libye » a ainsi déclaré Victoria Nuland, sa porte-parole. « De telles poursuites seraient un signe du « développement de l’appareil judiciaire en Libye, mais c’est également nécessaire dans l’optique d’une réconciliation nationale » a-t-elle ajouté.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]