Les frappes réalisées par les drones sont-elles contre-productives?

Depuis qu’il est arrivé à la Maison Blanche, le président Obama a intensifié le programme d’élimination ciblée des dirigeants d’al-Qaïda et des mouvements jihadistes au Pakistan, au Yémen, et, dans une moindre mesure, en Somalie, en ayant davantage recours que son prédécesseur aux attaques réalisées par des drones.

En 2010, 117 raids de ce type ont été comptabilisés et, depuis, le nombre des frappes impliquant des Predator ou des Reaper est resté à un niveau comparable. Plusieurs objectifs de « haute valeur » ont ainsi été neutralisés par ce moyen. Que l’on pense par exemple à Anwar al-Aulaqi, au Yémen, ou encore, plus récemment, au Pakistan, au numéro deux d’al-Qaïda, Abou Yahia al-Libi.

D’autre part, les drones ne sont pas utilisés exclusivement contre les cadres des mouvements jihadistes mais aussi contre des militants de moindre envergure, afin d’exercer une pression constante sur les réseaux terroristes (et insurgés pour l’Afghanistan) dans le but de les désorganiser et de réduire leurs capacités opérationnelles.

Au-delà des questions juridiques que soulève ce type d’action, l’on peut penser que ces bombardements ciblés sont d’une efficacité redoutable tout en limitant les dommages collatéraux, étant donné que ces frappes sont dites « chirurgicales ». Ce que conteste une étude qui, intitulée « Living Under Drones » et publiée par les universités de Stanford et de New York, affirme qu’au contraire ces attaques sont « contre-productives ».

Ce n’est évidemment pas la première fois que la précision des frappes réalisées par des drones pilotés depuis les Etats-Unis (à Creech, dans le Nevada, pour ceux de l’US Air Force) est remise en cause. Ainsi, il y a 3 ans, des statistiques officielles pakistanaises, relevées par le mensuel DSI (n°48, mai 2009), indiquaient que de janvier 2006 à avril 2009, 14 dirigeants d’al-Qaïda avaient été tués lors de bombardement ciblés, de même que 687 « non combattants », soit un ratio de 1 pour 50.

L’étude universitaire américaine, qui ne peut s’appuyer que sur des estimations et des recoupements puisqu’il est difficile d’obtenir des données précises, avance qu’au Pakistan, entre 2.562 et 3.325 personnes, dont 474 à 881 civils, ont été tuées lors d’attaques de drones menées de juin 2004 jusqu’à maintenant..

Cela étant, l’on aurait pu s’attendre à un bilan beaucoup plus élevé avec l’intensification des opérations au cours des trois dernières années. En fait, les victimes collatérales de ces raids ne tiennent pas intrinséquement aux drones et à leur armement mais surtout à la qualité des renseignements sur la base desquels ils sont engagés.

Quoi qu’il en soit, la CIA a dementi les chiffres avancés par l’étude en affirmant qu’ils viennent de rapports pakistanais « souvent faux ». Pour John Brennan, le conseiller du président Obama en matière de contre-terrorisme, les cas de civils tués lors de ces opérations sont « extrêment rares ». Qui a tord? Qui a raison? Ce qui est certain, c’est que des « non-combattants » en ont été victimes et leur nombre reste à déterminer le plus précisément possible.

La question des dommages collatéraux n’est pas sans conséquences sur le plan opérationnel. Dans une tribune publiée en 2009 par le New York Times, David Kilcullen, l’ancien conseiller du général David Petraeus, lequel a obtenu des résultats significatifs en Irak, a expliqué que « chaque mort d’un non-combattant représente une famille hostile, un nouveau désir de revanche et plus de recrues pour un mouvement qui s’est développé (ndlr, en Irak) de manière exponentielle, alors que les frappes par drones augmentaient. »

Cela étant, le plus intéressant dans cette étude porte sur le climat de peur que font planer les drones américains dans les régions tribales pakistanaises, dont certaines abritent les groupes jihadistes. Pour cela, ses auteurs se sont fondés sur des entretiens avec des habitants de ces zones.

« Les drones survolent les populations du nord-ouest 24 heures sur 24, frappent des véhicules, des maisons et des espaces publics sans sommation. Leur présence terrorise les hommes, femmes et enfants, créant un traumatisme psychologique. Les habitants doivent vivre dans la crainte permanente de pouvoir être frappés à tout moment par un bombardement meurtrier, sachant qu’ils n’ont aucun moyen de s’en protéger » explique le document.

Du coup, les familles « ont peur d’assister à des mariages ou des enterrements, du fait que les opérateurs américains au sol qui dirigent ces drones pourraient interpréter de façon erronée ces rassemblements comme étant ceux de militants talibans ou d’Al-Qaida » poursuit l’étude.

Et cela nuit gravement à l’image de Washington au Pakistan où, selon un sondage du Pew Research Center, 74% des Pakistanais considèrent les Américains comme des ennemis. D’où la conclusion des auteurs de cette étude universitaire : ce climat facilite le recrutement de jihadistes et par conséquent, les opérations menées avec les drones ne « permettent pas de mieux protéger les Etats-Unis. »

Cependant, cette position évacue un peu trop vite les conséquences des frappes contre les principaux responsables d’al-Qaïda au Pakistan. Nul ne sait ce qu’il serait advenu si ces derniers n’avaient été nullement inquiétés, ni combien d’attentats en gestation ont pu être ainsi évités…

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]