Une commission parlementaire suisse veut s’assurer que le contrat Gripen est exempt de corruption

L’achat de 22 avions Gripen par la Suisse n’a pas fini de faire parler. Même si un accord-cadre entre Berne et Stockholm a été signé le mois dernier pour en préciser modalités de cette acquisition, dont le montant s’élève à 3,126 milliards de francs suisses, les conditions dans lesquelles s’est fait le choix en faveur de l’appareil du constructeur suédois Saab au détriment du Rafale et de l’Eurofighter continuent l’alimenter la polémique.

Cette fois, c’est la Commission de politique de sécurité du Conseil national (CPS-N), c’est à dire la chambre basse de l’Assemblée fédérale suisse, qui souhaite examiner les risques de corruption dans le cadre de ce contrat. Les doutes concernant le processus de sélection avaient déjà conduit à la création d’une sous-commission « Nouvel avion de combat » (TTE), laquelle a rendu ses conclusions le 22 août.

En dépit de fortes critiques et de nombreuses réserves, cette dernière n’avait pas jugé bon à l’époque de remettre en cause le choix du Gripen, avion estimé le moins bon des trois en compétition dans cet appel d’offres lancé pour trouver un successeur au F-5 Tiger actuellement en service au sein des forces aériennes suisses. Cela étant, pour le Conseil national, les questions soulevées dans le rapport de la sous-commission restent ouvertes, notamment la série d’incohérences qui y sont énumérées.

Entre autres, au cours de la procédure, des critères de sélection ont été modifiés, de même que la pondération de certains barêmes d’évaluation. Les constructeurs « ont eu l’impression que l’avion doté des meilleures qualités techniques serait sélectionné; ils n’étaient pas informés que le prix jouerait un rôle si important dans le choix final, même si ce critère avait été souligné de manière récurrente au cours » peut-on lire dans le rapport, qui indiqué également que la possibilité d’acheter moins de 22 avions n’a jamais été étudiée.

Qui plus est, toujours d’après le document, Dassault Aviation et le consortium Eurofighter ont déploré que « les innovations techniques apportées à leurs appareils après 2009 n’aient pas été prises en compte, alors que Saab avait fourni une troisième offre qui prévoyait des développements de ce genre. » Et personne n’a été informé du passage au Gripen C/D, modèle qui a accompli les évalutions en vol, à la version E/F en cours de développement.

D’où la volonté du la commission du Conseil national de voir si le processus d’acquisition s’est passé « proprement ». « Le risque de corruption est l’une des nombreuses questions ouvertes dont nous allons discuter lors des prochaines séances de la CPS-N » a déclaré, le 14 septembre, sa présidente, Chantal Galladé, qui veut des réponses du Conseil fédédral « d’ici début octobre. »

« Il y a bien des indices de corruption, mais aucune preuve » a affirmé Jean-Pierre Méan, le président de Transparency International Suisse, dont les propos ont été rapportés par plusieurs journaux hélvètes. « Il existe certains points d’interrogation. Car, quand la corruption entre en jeu, on voit exactement les mêmes procédés que ceux que l’on observe en Suisse » a-t-il ajouté.

Pour Saab, ce contrat est indispensable, pour ne pas dire vital. Pour le moment, la Suisse est le seul pays client à l’exportation pour la version E/F du Gripen, dont le financement du développement doit faire l’objet d’un débat au Parlement suédois. Et ce dernier serait d’autant plus enclin à lui donner une issue favorable si cet avion se vend à l’étranger.

Quant à Berne, l’achat du Gripen E/F permettrait de maitenir l’activité de Ruag, qui doit faire face au recul des commandes de son principal client, à savoir l’armée suisse. Selon le Basler Zeitung, Saab se serait même engagé à reprendre les activités de Ruag Aviation, ce qui aurait pesé lourd dans la balance au moment du choix du successeur du F-5 Tiger.

Quoi qu’il en soit, le constructeur suédois s’est défendu de toute malversation dans le contrat suisse. « Saab est une société (…) ouverte et transparente, qui agit de manière éthique, qui mène par l’exemple et qui respecte toujours les lois et les règlements. Saab a une tolérance zéro pour la corruption » a-t-il fait valoir dans un communiqué, en réponse aux « allégations » de la CPS-N.

« Il est très important de relever qu’il n’y a aucune enquête anti-corruption dans laquelle Saab soit impliquée aujourd’hui, et qu’aucun employé de Saab n’a été reconnu coupable de corruption » a encore ajouté l’industriel, qui, selon lui, « a toujours coopéré et coopérera toujours avec les autorités dès lors que cela peut être requis. » Et d’ajouter : « Le Gripen a été choisi parce qu’il s’agit d’un avion de combat multi-rôle très performant, qui fournit le meilleur rapport prix- performance par rapport à tous les concurrents. »

Enfin, dans son communiqué, Saab est sans doute allé un peu vite en besogne. En 2011, l’industriel avait en effet admis avoir versé 2,5 millions d’euros de dessous-de-table dans le cadre d’un contrat portant sur la livraison de 26 Gripen aux forces aériennes sud-africaines. Une enquête pour corruption a d’ailleurs été rouverte après cette révélation. Toutefois, le constructeur suédois a rejeté la responsabilité de cette affaire sur son partenaire britannique, BAE Systems.

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