Un officier américain dénonce les divergences entre les rapports officiels et la réalité du terrain en Afghanistan

Aller contre les affirmations de sa hiérarchie n’est pas le meilleur moyen pour un militaire de gagner des galons. Et c’est pourtant ce que vient de faire le lieutenant-colonel Daniel Davis, en publiant dans l’Armed Forces Journal, un long article intitulé « Vérité, mensonges et Afghanistan : comment les chefs militaires nous ont déçus », lequel remet en question le discours officiel au sujet des progrès réalisés par l’Otan face à l’insurrection afghane.

Engagé dans l’armée américaine en 1985, le lieutenant-colonel Davis a participé à l’opération Tempête du Désert, en 1991, à l’issue de laquelle il est retourné à la vie civile, tout en restant réserviste. Après les attentats du 11 septembre 2011, il a rempilé puis a été affecté en Irak et en Afghanistan, à deux reprises. Entre-temps, il a travaillé sur le programme Future Combat System (FCS), qui été annulé en 2009.

Avant de raconter ce qu’il a vu sur le théâtre afghan, où il a été déployé à la fin de l’année 2010 pour une durée de 12 mois, le lieutenant-colonel Davis a pris conseil auprès de son pasteur et a revu le film « Mr Smith au Sénat », dans lequel le personnage principal, incarné par James Stewart (qui a été général de réserve de l’US Air Force), refuse d’accepter la corruption et le mensonge. Voilà pour le côté anecdotique de l’affaire.

En mars 2011, lors d’une audition devant une commission du Congrès, le général David Petraeus, alors patron de la Force internationale d’assistance à la sécurité, sous commandement de l’Otan, avait fait valoir que « l’élan des taliban était arrêté dans une grande partie » de l’Afghanistan tout en mettant en avant des « progrès notables bien que fragiles ».

Par ailleurs, il est régulièrement affirmé, officiellement, que les forces afghanes, en cours de formation, seront aptes à assurer la sécurité de leur pays et à empêcher le retour des taliban après 2014, année qui marquera la fin de l’engagement militaire de l’Otan en Afghanistan.

Or, le lieutenant-colonel Davis a eu une toute autre perception de la réalité sur le terrain, après avoir accompli plus de 10.000 km de patrouille avec des soldats américains dans 8 provinces afghanes différentes.

« J’ai vu les difficultés incroyables qu’une force militaire a pour ne pacifier qu’un seul secteur de ces provinces; j’ai entendu beaucoup d’histoires sur la façon dont les insurgés contrôlent chaque morceau de terre au-delà de la portée de vue d’une base américaine ou de l’ISAF » écrit-il dans l’article publié par l’Armed Force Journal. Et de donner quelques exemples…

Parmi eux, celui du 11 septembre 2011, soit 10 ans après les attaques contre le World Trade Center et le Pentagone. Ce jour-là, l’officier rencontre un notable afghan, qui a été conseiller culturel après des forces américaines. A la question de savoir si les forces afghanes seront en mesure de tenir tête aux taliban une fois la coalition partie, ce responsable lui a fait une réponse négative.

« Non, ils ne seront certainement pas capables. Déjà, partout dans cette région, de nombreux éléments des forces de sécurité ont fait affaire avec les talibans : ils ne leur tirent pas dessus et les taliban en font de même » lui a-t-il dit. A noter que cela confirme le rapport confidentiel de l’Otan au sujet de la situation afghane et dont des passages ont été publiés par la presse la semaine passée.

Par ailleurs, le lieutenant-colonel Davis dresse un constat guère optimiste qui tranche, une fois de plus, avec les compte-rendus officiels. « Dans tous les endroits que j’ai visités, la situation tactique était mauvaise, voire catastrophique. Si les évènements que j’ai décrits – et il y en a encore beaucoup plus que je pourrais mentionner – avait eu lieu lors de la première année de la guerre, ou même de la troisième ou quatrième, on pourrait être disposé à croire que l’Afghanistan est juste un dur combat et que nous devrions tenir bon. Pourtant, tous ces incident sont arrivés dans la 10e année de la guerre » écrit-il.

« Combien d’autres hommes doivent encore encore pour une mission qui n’est pas une réussite et qui est masquée par les communiqués optimistes? » s’interroge-t-il encore. « Personne n’attend de nos dirigeants de toujours avoir des plans victorieux. Mais nous attendons – et les hommes qui vivent, se battent et meurent le méritent – d’avoir des dirgeants qui disent la vérité sur ce qu’il se passe » ajoute le lieutenant-colonel Davis.

Avant de lancer son pavé dans la mare, l’officier a pris la peine d’avoir obtenu le soutien de quatre membres du Congrès, appartenant aux deux principaux partis américains. Mais il s’attend toutefois à être « atomisé », comme il l’a confié au New York Times.

Du côté du Pentagone, l’on indique que le lieutenant-colonel Davis a « manifestement le droit d’avoir son opinion » et que les évaluations de l’armée américaine sur la situation en Afghanistan font l’objet d’une « analyse rigoureuse » qui ne s’appuient pas sur l’avis d’un seul homme.

Justement, par le passé, plusieurs responsables militaires américains ont pointé les lacunes des forces de l’Otan en Afghanistan. A commencer par le général McCrystal, l’ancien commandant de l’ISAF, contraint à prendre sa retraite après qu’il lui a été prêté des propos désobiligeants à l’égard de l’administration Obama.

En octobre 2011, devant le Council on Foreign Relations, il avait estimé que la coalition international avait à peine atteint « la moitié des objectifs militaires » fixés, en partie à cause d’une « compréhension terriblement simpliste » de l’Afghanistan. Ces critiques faisaient écho à celles lancées en janvier 2010 par le général Flynn, qui était à l’époque responsable du renseignement militaire en Afghanistan.

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