Un rapport secret de l’Otan confirme le soutien des services secrets pakistanais aux insurgés afghans

C’est un secret de Polichinelle : depuis longtemps, l’on sait que l’Inter Service Intelligence (ISI), le puissant service de renseignement pakistanais, apporte une aide aux insurgés afghans, plus précisément au mouvement taleb du mollah Omar ainsi qu’au réseau Haqqani, actif dans l’est de l’Afghanistan et au Hezb-e-Islami du seigneur de guerre Gulbuddin Hekmatyar.

Les relations entre ces factions afghanes et l’ISI sont anciennes. Elles remontent en effet depuis l’intervention militaire soviétique en Afghanistan, avec la bénédiction, à l’époque, des Etats-Unis.

Après l’effondrement de l’URSS, et afin de mettre un terme à la guerre civile que se livraient diverses factions afghanes pour prendre le pouvoir à Kaboul, Islamabad a joué la carte des taliban. Il s’agissait pour le Pakistan de rétablir la sécurité en Afghanistan afin de ne pas compromettre son approvisionnement énergétique en provenance d’Asie Centrale et de s’assurer de disposer d’une profondeur stratégique face à l’Inde.

Depuis, ces relations ont continué. En mars 2009, le New York Times avait publié une enquête à ce sujet, laquelle précisait que les factions afghanes recevaient une « une aide financière, du matériel militaire » ainsi que « des conseils de planification stratégique dispensés à des commandants talibans appelés à affronter les forces internationales en Afghanistan ».

Un an plus tard, une étude de la très sérieuse London School of Economics (LSE), livrait la même conclusion. « Même s’ils bénéficient d’un fort soutien interne, selon les commandants taliban, l’ISI orchestre, soutient et influence énormement le mouvement » pouvait-on lire dans le document, établi sur la foi d’interrogatoire de 9 responsables insurgés.

Mais, du côté des officiels occidentaux, il n’était pas question d’évoquer cette question, étant donné que le Pakistan était considéré comme l’un des alliés clés dans la « guerre contre le terrorisme ». Du moins, c’était le cas avant l’automne 2011. Car après la découverte de la cache d’Oussama Ben Laden, l’ancien chef d’al-Qaïda, située à une cinquantaine de kilomètres d’Islamabad, le ton a changé, alors même que l’armée américaine était déjà au courant du double jeu de l’ISI si l’on en croit ses rapports internes dévoilés par WikiLeaks en juillet 2010.

Ainsi, le 20 septembre 2011, l’ancien chef d’état-major interarmées américain, l’amiral Mike Muellen, a mis les pieds dans le plat en parlant de « guerre par procuration » menée en Afghanistan par les services pakistanais. Quelques semaines plus tôt, le ministre français de la Défense, Gérard Longuet, avait fait des sous-entendus qui ne trompèrent personne à ce sujet.

« Une insurrection aussi constante, disposant de moyens importants, bénéficie nécessairement de soutiens extérieurs », avait-il affirmé sur les ondes de France Inter. « Il y a une dimension internationale à cette affaire. Si l’Afghanistan ne concernait que les Afghans, je crois que le problème aurait été réglé depuis plusieurs années » avait-il ajouté. Selon un rapport de l’International Crisis Group publié quelques semaines plus tôt avant ces déclarations, les rebelles afghans actifs en Kapisa, là où est déployé un bataillon français, prendraient leurs ordres directement de l’ISI.

Dernier rapport en date au sujet du soutien des services pakistanais aux insurgés afghans : celui de l’Otan, commenté par deux médias britanniques, à savoir la BBC et The Times. La révélation de ce document vient alors que le ministre pakistanais des Affaires étrangères est attendu à Kaboul et que des pourparlers de paix sont engagés au Qatar entre les Etats-Unis et les talibans, ainsi qu’en Arabie Saoudite, entre ces mêmes taliban et le gouvernement afghan.

Alors, que dit de nouveau ce rapport « secret » de l’Otan, établi après 27.000 interrogatoires menés sur 4.000 prisonniers insurgés et membres d’al-Qaïda? L’on y apprend d’abord que l’ISI sait exactement où trouver les dirigeants du mouvement taleb afghan. Ce qui confirme que l’arrestation, en 2010, du mollah Baradar, désormais ancien lieutenant du mollah Omar et favorable à des négociations avec le clan Karzaï, n’était pas le fruit du hasard mais une manipulation des services secrets pakistanais.

Autre élément important : l’ISI joue clairement les taliban gagnants une fois que les forces occidentales auront quitté l’Afghanistan. Autrement dit, le président Hamid Karzaï a du souci à se faire, d’autant plus que certains membres de son gouvernement, indique le document, seraient prêts à rejoindre le mouvement taleb, où du moins, s’interrogent…

Le rapport pose également la question de la fiabilité des forces de sécurité afghanes. D’après la BBC, certains de leurs membres ont mis en vente des armes lourdes dans les bazars pakistanais… Pire encore, dans les zones où la coalition internationale s’est retirée, l’influence des taliban a augmenté, sans rencontrer la moindre résistance des troupes gouvernentales, quand elles n’y ont pas apporté leur appui « dans de nombreux cas ».

Enfin, le document souligne que « les talibans ont certes reçu des coups sévères en 2011, mais leur force, leur motivation, leur financement et leur capacité restent intacts ». Voilà qui n’est guère encourageant pour la suite.

Du côté du Pentagone, George Little, un porte-parole, a affirmé ne pas avoir eu connaissance de ce rapport et que, par conséquent, il ne peut pas faire de commentaires. « Cela fait longtemps que nous sommes préoccupés par les liens entre les membres de l’ISI et certains réseaux extrémistes » a-t-il toutefois précisé.

Quant au Pakistan, un porte-parole du ministère des Affaires étrangères a jugé « futiles » les conclusions de ce rapport de l’Otan. « Tout cela est futile, pour parler avec modération. Nous menons une politique de non interférence en Afghanistan et attendons des autres pays qu’ils adhèrent strictement à ce principe » a-t-il déclaré, selon l’AFP. « Nous soutenons également le processus de réconciliation en Afghanistan mené par les Afghans. Le Pakistan a énormément souffert du long conflit afghan. Il est dans notre intérêt d’avoir un Afghanistan stable et en paix, et nous en sommes extrêmement conscients » a-t-il ajouté. « Stable et en paix » avec les taliban au pouvoir à Kaboul?

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