Une entreprise française a aidé à traquer les opposants du colonel Kadhafi

Voici une affaire bien gênant aux entournures. Selon le Wall Street Journal, Amesys, une société française d’ingénierie spécialisée dans les systèmes de sécurité, a équipé le centre de surveillance d’Internet de Tripoli avec son logiciel Eagle, lequel permet d’observer le trafic sur le réseau ainsi que d’avoir un oeil sur les e-mails. Toujours d’après le même quotidien, l’entreprise de télécommunications chinoise ZTE aurait également vendu des technologies de filtrage au régime du colonel Kadhafi.

Pour ce qui concerne les activités d’Amesys en Libye, le contrat a été passé avec Tripoli en 2007, année de la libération des infirmières bulgares (condamnées à la peine de mort, à l’époque par l’actuel numéro un de la rébellion libyenne Moustafa Abdeljalil, quand il était président de cour d’appel, puis ministre de la Justice) et de la venue en France du grand barnum du colonel Kadhafi.

Seulement, cette vente soulève deux problèmes. Et non des moindres. Selon le Figaro, des militaires français de la Direction du Renseignement Militaire (DRM) ont formé les membres des services libyens à utiliser le système Eagle, dont une version « conforme à la loi », est employée en France.

L’un d’eux s’est d’ailleurs confié au journal (*). « Nous leur avons appris comment trouver des cibles dans le flow massif du pays et nous avons travaillé sur des cas d’école : par exemple, comment placer une université sous interception et trouver des individus suspects en fonction de mots clefs » a-t-il affirmé avanrt d’ajouter : « On leur avait montré comment trouver tous les Libyens qui allaient sur lefigaro.fr et sur lemonde.fr ».

Le militaire a également indiqué qu’une vingtaine d’officiers libyens ont suivi cette formation de 3 semaines et que les Français présents en Libye pour cette mission ont été directement en relation avec Abdallah Senoussi, le chef des services secrets du colonel Kadhafi, par ailleurs condamné par contumace pour le rôle qu’il a joué dans l’attentat contre le DC-10 d’UTA en 1989 (170 tués).

L’autre problème est qu’un logiciel comme Eagle doit être soumis à un accord gouvernemental pour être exporté. D’où la demande d’information présentée dans une question écrite à l’Assemblée nationale par le député PS de la Nièvre, Christian Paul. Ce dernier souhaite savoir si le gouvernement a donné « son feu vert pour de tels contrats avec la Libye » et si tel n’est pas le cas, « quelles mesures entend-il prendre pour qu’à l’avenir » ces « armes technologiques » ne soient pas vendues à des régimes autoritaires.

Du côté d’Amesys, rachetée par Bull en janvier 2010 pour 105 millions d’euros, l’on explique le contrat conclu avec Tripoli « concernait la mise à disposition d’un matériel d’analyse portant sur une fraction des connexions Internet existantes, soient quelques milliers » et « n’incluait ni les communications Internet via satellite, utilisées dans les cybercafés, ni les données chiffrées (type Skype), ni le filtrage de sites Web ». Et de préciser que la société « n’opère aucun centre d’écoute téléphonique ni Internet à aucun point du globe » et qu’elle « a toujours privilégié un développement dans les zones géographiques avec lesquelles la France ou l’Europe nouent des partenariats stratégiques ».

Cependant, les déclarations du militaire de la DRM publiées par le Figaro ne vont pas exactement dans ce sens. « Nous avons mis tout le pays sur écoute. On faisait du massif : on interceptait toutes les données passant sur Internet : mails, chats, navigations Internet et conversation sur IP » a-t-il affirmé.

(*) Le titre de l’article du Figaro, « Comment j’ai mis 8 millions de Libyens sur écoute », paraît exagéré… La Libye compte entre 6 et 8 millions d’habitants, qui n’ont pas tous accès à Internet.

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