Ben Laden : Questions/Réponses sur une opération

Devant le flot d’informations concernant le raid qui a mis fin à près de 10 ans de traque d’Oussama ben Laden, le fondateur d’al-Qaïda, il est difficile de s’y retrouver, d’autant plus que certaines apparaissent contradictoires. Zone Militaire fait le point.

1- Comment Oussama ben Laden a-t-il été repéré?

La trace d’Oussama ben Laden a été une première fois perdue dans les montagnes afghanes de Tora Bora en décembre 2001. Par la suite, il a été au moins à deux reprises dans la ligne de mire des militaires des forces spéciales françaises, en 2003 et 2004. Depuis, il semblait acquis que, s’il n’était pas mort, le chef d’al-Qaïda avait trouvé refuge au Pakistan, ce qu’Islamabad a toujours démenti jusqu’à maintenant.

Selon un responsable américain, qui s’est confié au Washington Post, la CIA s’est intéressée aux proches d’Oussama ben Laden, notamment en exploitant des renseignements donnés à Guantanamo par Khaled Cheikh Mohammed, arrêté en 2003 au Pakistan et « cerveau » des attentats du 11 septembre 2001, ainsi que par Abou Farj al-Libbi, capturé en 2005.

Les informations obtenues ont permis d’identifier un homme présenté comme l’un des seuls messagers en qui ben Laden avait une confiance totale. Son identité a formellement été établie en 2007 et les services de renseignement se sont attachés à le localiser. Ce qui a été fait alors qu’il était avec son frère il y a quelques mois, au Pakistan.

En août 2010, le lieu de leur habitation est finalement découvert, à Abbottabad, dans un quartier résidentiel habité par des militaires pakistanais en retraite. La localité est relativement proche d’Islamabad, donc bien loin de la grotte où le chef terroriste était censé vivre selon les médias. L’endroit est par ailleurs idéal car, étant donné que ben Laden est malade, un hôpital est situé juste à côté du complexe qu’il habite.

« Quand on a vu la propriété où vivaient les frères, nous n’en revenions pas : un complxe extraordinairement unique » a déclaré un responsable américain. « La conclusion que nous avons tirée des éléments collectés et de notre analyse, c’est que nous étions assez certains que le complexe abritait un cible terroriste de haute valeur. Les experts qui ont travaillé sur cette question pendant des années ont estimé qu’il y avait une forte probabilité que le terroriste qui se cachait là était Oussama ben Laden » a précisé un autre officiel.

2- Quelle était la disposition des lieux?

Le complexe occupé par ben Laden et sa famille, ainsi que par celles de son messager et du frère de ce dernier a été construit en 2005, sur un vaste terrain, au bout d’un sentier non goudronné. Haute de 3 étages, cette résidence était entourée d’une enceinte haute de 5,5 mètres, surmontée de barbelés. Un toit en terrasse était protégé des regards indiscrets par un mur de 2 mètres de haut. Pour y entrer et en sortir, il y avait deux portails sécurisés. Pour éviter d’être repéré par des écoutes téléphoniques, il n’y avait pas de téléphone, ni d’accès à Internet. Le valeur de cet ensemble serait de plus de 1 millions de dollars, ce qui est apparu incongru aux analystes étant donné que ceux à qui il était censé appartenir n’avaient pas de sources de revenus.

Quant à Abbottabad, il s’agit d’une ville de villégiature située à deux heures de route, environ, au nord d’Islamabad, près du Cachemire pakistanais. Une académie militaire y est implantée. Un camp d’entraînement de militants islamistes y avait établi ses quartiers par le passé.

3- Comment s’est passée l’opération des forces spéciales américaines?

En l’état actuel des choses, il y a peu de certitudes et autant dire qu’il y a plus de questions que de réponses à ce sujet. A commencer par ce qui concerne l’implication du Pakistan.

Officiellement, le feu vert à l’opération a été donné par le président Obama le 29 avril dernier. Peu avant minuit (heure locale), deux hélicoptères du 160th Special Operations Aviation Regiment ou bien appartenant à la CIA ont décollé depuis un terrain situé en Aghanistan à destination du complexe de ben Laden à Abbottabad. Selon CBS, il s’agirait de deux UH60 Black Hawk alors que la chaîne ABC News a évoqué la présence d’au moins un CH-47 Chinook.

Ce qui est certain, c’est que l’opération a été menée par deux douzaines de commandos de la Team 6 des Navy Seals, l’unité spéciale de l’US Navy. Des agents de la CIA étaient également sur le terrain.

Une fois sur les lieux, les commandos ont mis quarante minutes pour pénétrer dans le complexe, trouver et tuer ben Laden, embarquer son corps et repartir. Au cours de cette opération, suivie en direct au quartier général de la CIA à Langley, les deux courriers du chef d’al-Qaïda, un de ses fils et une femme ont perdu la vie.

Au moment de repartir, et toujours d’après les déclarations officielles, un des deux hélicoptères (un Chinook pour ABC News) a connu une avarie l’empêchant de redécoller. Il a alors été détruit sur place, pour ne pas le laisser aux mains des forces pakistanaises ou des militants d’al-Qaïda. Le commando a ensuite regagné l’Afghanistan.

Selon les témoignages d’habitants Abbottabad, dont cetains ont été relayés sur le site de micro-blogging Twitter (voir aussi ici), il n’y aurait pas eu deux mais trois, voire quatre hélicoptères impliqués dans l’opération, dont un aurait été abattu.

« Après minuit, un grand nombre de commandos ont encerclé la propriété. Trois hélicoptères étaient en survol. Tout à coup, des tirs ont éclaté en provenance du sol et en direction des hélicoptères », a affirmé Nasir Kahn. « Il y a eu des échanges de tirs intenses et j’ai vu un hélicoptère chuter » a-t-il ajouté. « Je dormais quand tout à coup il y a eu une explosion. Elle a été suivie par deux explosions plus faibles (…). J’ai ouvert la porte et j’ai vu que tout le complexe était en feu », a raconté Sahibzada Salahuddin.

Selon Reuters, un dirigeant pakistanais a indiqué que l’opération contre ben Laden avait impliqué les services pakistanais. D’ailleurs, un des photographes de l’agence de presse a affirmé que les routes menant au repaire de ben Laden avaient été bloquées par la police.

Seulement, un responsable de l’administration Obama a affirmé le contraire. « Nous n’avons partagé les renseignements sur la résidence (de ben Laden) avec autre pays, y compris le Pakistan » pour des « raisons opérationnelles » a-t-il avancé.

Quoi qu’il en soit, le rôle d’Islamabad dans cette affaire reste nébuleux. Comment les autorités pakistanaises auraient-elles pu ignorer la présence de ben Laden dans une ville relativement proche de la capitale et de surcroît ayant une vocation militaire? Les Etats-Unis ont-ils mis le gouvernement pakistanais devant le fait accompli?

4- Qu’est devenu le corps de ben Laden?

Une fois l’assaut contre le complexe d’Abbottabad terminé, le commando a emmené avec lui le cadavre du chef d’al-Qaïda en Afghanistan. Le corps a ensuite été emporté sur le porte-avions Carl Vinson, qui croise en mer d’Oman, où il a été lavé, puis placé dans un linceul blanc et un sac lesté avant d’être immergé en mer. Un texte religieux a été lu par un officier. D’où l’assurance des autorités américaines que tout s’est fait dans le respect de la « tradition islamique ». Cependant, cela est contesté par les responsables religieux musulmans. Pour la Grande Mosquée de Paris, l’immersion du cadavre de ben Laden serait « totalement contraire aux règles sacro-saintes de l’islam ».

Les Etats-Unis « peuvent dire qu’ils l’ont immergé en mer, mais ils ne peuvent pas dire qu’il l’ont fait conformément aux règles de l’Islam. Si la famille ne veut pas de la dépouille, c’est très simple : vous l’enterrez n’importe où, même sur une île isolée, vous prononcez les prières et c’est fait. Les immersions en mer ne sont permises que dans des circonstances extraordinaires, et cela n’est pas le cas » a, pour sa part, estimé le grand mufti de Dubaï, Mohammed al-Qubaisi, sur les ondes de la BBC.

Quoi qu’il en soit, aucune photographie officielle du cadavre de ben Laden n’a été pour le moment rendue publique. L’on sait que des prélèvements ont été effectués à des fins d’identification ADN. Et les tests, d’après un responsable américain, sont positifs.

5- L’objectif était-il de prendre ben Laden vivant?

Lors de son allocution télévisée, le président Obama a affirmé que l’objectif initial était de prendre ben Laden vivant afin qu’il puisse répondre de ses actes. « j’ai déterminé que nous avions suffisamment de renseignements pour agir, et ai autorisé une opération destinée à capturer Oussama Ben Laden et à le présenter devant la justice » a-t-il déclaré.

Seulement, un responsable de la sécurité nationale américain a déclaré, qu’au contraire, « il s’agissait d’une opération destinée à tuer » et non de capturer Oussama ben Laden.

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