Otan : Les enjeux du sommet de Lisbonne

Voilà des mois qu’il est question du sommet de l’Alliance atlantique à Lisbonne. Quels en sont les enjeux? Revue de détail.

Un nouveau Concept stratégique

Depuis la fin de la guerre froide, seulement deux concepts stratégiques ont été élaborés, le dernier ayant été adopté lors du sommet de Washington en 1999. Ce document prend acte des évolutions en matière de sécurité. Ainsi, celui en vigueur depuis maintenant plus de dix ans, prenant en compte les guerres balkaniques, avait mis l’accent sur l’importance des opérations extérieures de l’Alliance et ne voyait plus la Russie comme la menace principale. Depuis, d’autres risques sont apparus ou ont pris une importance nouvelle, tels que le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, l’approvisionnement énergétique ou encore la cyberguerre. Et puis l’Otan a été élargie à de nouveaux membres.

Aussi, le nouveau concept stratégique qui doit être discuté et adopté à Lisbonne prend en compte ses nouvelles menaces en insistant sur l’acquisition de capacités en matière de cyberguerre, le développement d’une défense antimissile et le contre-terrorisme. La dissuasion devrait être conservée, tant qu’il y aura des armes nucléaires dans le monde. Par ailleurs, il devrait être aussi question d’approfondir les relations de l’Otan avec d’autres partenaires, comme l’Australie et le Japon, et de favoriser le dialogue avec les puissances émergentes telles que la Chine, l’Inde et la Russie. Le caractère militaire de l’Alliance sera réaffirmé.

Réformer la structure de l’Otan

Etant donné ses soucis budgétaires, qui sont à l’image de ceux des armées européennes, l’Alliance atlantique est obligée de revoir son organisation, d’autant plus qu’un trou de 640 millions d’euros reste à combler et que 10 milliards d’euros de programme ne sont pas financés. Et le coût sans cesse plus lourd des opérations extérieures, notamment en Afghanistan (+400% en cinq ans) n’est pas fait pour arranger la situation.

Ainsi, 35% des structures de commandement devraient disparaître et les effectifs être ramenés de 13.800 à 8.500. Et le nombre des agences doit également diminuer. Bien évidemment, cela ne se fera pas sans douleur, chaque Etat membre cherchant à préserver les structures de l’Otan implantées sur son territoire. Le Commandement suprême allié de la transformation (SACT), dirigé actuellement par le général français Stéphane Abrial, pourrait disparaître. C’est en tout cas le souhait des Britanniques mais la France refuse cette éventualité.

La défense antimissile

Il est question de doter l’Otan d’une défense antimissile depuis le sommet de Prague de novembre 2002, au cours duquel il avait été décidé de lancer une étude de faisabilité. Six ans plus tard, à Bucarest, les dirigeants de l’Alliance ont admis que des éléments du bouclier antimissile américain pouvaient contribuer à protéger les pays membres et indiqué qu’ils devaient faire partie de « toute architecture future de défense antimissile à l’échelle de l’Otan ».

En clair, les radars et missiles intercepteurs américains devraient être intégrés à une défense antimissile couvrant les pays européens membres de l’Otan, ce qui permettrait d’assurer une protection contre les missiles à moyenne portée. Le coût pour connecter les systèmes en service au sein de certaines armées de l’Alliance serait de l’ordre de 200 millions d’euros sur 10 ans, réparti entre les 28 pays membres.

Cela étant, deux conceptions se font face. Pour l’Allemagne, ainsi que d’autres pays européens, notamment ceux du Benelux, la défense antimissile peut être un substitut à la dissuasion nucléaire. Pour la France et le Royaume-Uni, qui disposent d’une force de frappe, un tel système ne peut venir qu’en complément. Un autre question à laquelle il faudra répondre portera sur le contrôle de ce bouclier.

Par ailleurs, la Russie n’est franchement pas emballée par une telle perspective. D’où l’idée de l’associer à ce projet. A noter que, lors du sommet de Bucarest en 2008, il avait déjà été proposé à Moscou de relier les systèmes de défense antimissile de l’Otan et russes.

Les relations avec la Russie

Pour le secrétaire général de l’Otan, Anders Fogh Rasmussen, le sommet de Lisbonne doit marquer « un nouveau départ dans nos relations avec la Russie ». D’où l’invitation lancée à Moscou de participer à la défense antimissile.

Seulement, quelques ombres peuvent troubler ce « nouveau départ ». Tout d’abord, les relations entre Moscou et Washington sont soumises à des aléas. La colère russe au sujet de l’extradition aux Etats-Unis du trafiquant d’armes Viktor Bout, arrêté en Thaïlande en 2008, en est un exemple. Et les difficultés de l’administration Obama à faire ratifier par le Congrès le traité de désarmement nouveau START, signé avec peine en avril dernier, en est un autre.

« Le nouveau traité START constitue une partie fondamentale de notre relation avec la Russie, qui a été très importante pour notre capacité à faire transiter nos soldats vers l’Afghanistan, et à imposer et faire respecter de sévères sanctions contre le gouvernement iranien » a ainsi déclaré Joe Biden, le vice-président américain, en réagissant aux menaces de blocage du texte.

Et selon la dernière mouture de la doctrine militaire russe, l’Alliance atlantique est désignée comme une menace principale. Toutefois, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a tempéré un peu cette perception. « L’Otan n’est pas une menace, mais l’un des dangers auxquels nous sommes confrontés est sa volonté de déployer son potentiel militaire hors de son territoire » a-t-il ainsi récemment déclaré à la presse.

Et c’est sans compter sur le fait que les pays de l’Est, qui ont rejoint l’Alliance depuis la chute du Mur de Berlin, restent méfiant à l’égard de leur ancienne puissance de tutelle.

Cela étant, et selon la formule disant qu’il vaut mieux voir ce qui rapproche au lieu de se focaliser sur ce qui sépare, l’Otan et la Russie ont des intérêts communs, que ce soit pour lutter contre la piraterie maritime ou encore pour régler la question afghane.

Stratégie de sortie en Afghanistan

Après 9 ans d’opérations militaires en Afghanistan, 2.200 soldats tués, dont près de 650 cette année, la stratégie mise en place par le général américain David Petraeus, le commandant de la Force internationale d’assistance à la sécurité, commence à porter ses fruits, notamment grâce aux recours aux opérations des forces spéciales qui ont porté de rudes coups à l’insurrection, au point que certains commandants sont tentés de négocier avec les autorités de Kaboul.

Désormais, il est donc question de commencer de transférer aux forces de sécurité afghanes la responsabilité de la sécurité dans les secteurs les plus calmes, comme par exemple en Surobi. Cette option a été d’ailleurs envisagépar l’ancien ministre de la Défense, Hervé Morin, depuis plusieurs semaines.

Selon Anders Fogh Rasmussen, ce processus de transition devrait commencer dès le début de l’année 2011 et cela permettra de commencer le retrait des forces de l’Otan dans le pays.

D’ici à 2014, les forces afghanes devraient être en mesure d’assurer la sécurité sur l’ensemble du territoire. Du coup, et si les « conditions le permettent », l’Otan devrait jouer un rôle de soutien et il est question d’établir une « partenariat à long terme » avec Kaboul.

Pour en savoir plus : Le colonel Olivier Kempf, actuellement maître de conférence à Sciences Po Paris et conseiller éditorial de la Revue Défense Nationale, a la plume qui démange. En plus de son blog de géopolitique et après avoir publié, en juin dernier, « Le Casque et la plume » (Economica), il vient de sortir un ouvrage de référence, intitulé « L’Otan au XXIe siècle » (éditions Artège).

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