France/Grande-Bretagne : Entente cordiale dans la défense

En avril 1904, la France et la Grande-Bretagne signaient une série de protocoles diplomatiques afin de régler les querelles entre les deux pays et définir leurs sphères d’influence respective. Plus d’un siècle plus tard, la série d’accords conclus entre Paris et Londres, en matière de défense cette fois, est susceptible d’avoir la même portée portée historique.

Une collaboration militaire franco-britannique fait sens pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les deux pays partagent quasiment les mêmes ambitions dans ce domaine, leurs budgets consacrés à la défense étant les deux plus élevés en Europe. Ensuite, leurs deux armées ont des points communs, ce qui facilite grandement d’éventuels rapprochements. Enfin, depuis la Première Guerre Mondiale, les militaires français et britanniques ont souvent mené ensemble des opérations, que ce soit dans le cadre plus général de l’Otan, ou non, comme lors l’affaire de Suez (1956).

Mais pour qu’une coopération s’établisse, encore faut-il qu’il y ait des conditions favorables. La baisse des budgets de la défense des deux côtés de la Manche en est une. Si les armées françaises n’auront pas à subir les coupes budgétaires de son homologue britannique (-8%), il n’en reste pas mois qu’elles devront faire des économies et retarder quelques programmes (Scorpion, avions ravitailleurs, rénovation des Mirage 2000D, etc…).

Le second facteur à prendre en considération est le retour de Paris au sein du commandement militaire intégré de l’Otan. Le président Sarkozy avait avancé que cela favoriserait la défense européenne. Or, cette dernière ne pourra jamais véritablement décoller sans l’apport de Londres, qui refuse toute idée « d’armée européenne » comme le ministre Liam Fox l’a rappelé lors d’un entretien accordé au Sunday Telegraph ce week-end. Cependant, ce rapprochement militaire franco-britannique, teinté de pragmatisme, est sans nul doute la plus grande avancée de l’Europe de la défense.

Reste à voir le contenu – dont la totalité n’est pas rendue publique – des 17 traités et accords que Paris et Londres ont signé ce 2 novembre. Symbole du degré de confiance mutuelle entre les deux pays : la « coopération sans précédent » au sujet de la dissuasion nucléaire, sans que l’un ou l’autre n’ait à renoncer à l’indépendance de sa force de frappe, en matière de recherche dans ce domaine. Ainsi, les chercheurs britanniques pourront utiliser les installations de la Direction des applications militaires du CEA, qui situées à Valduc, en Bourgogne, ont pour mission de veiller au maitien en condition opérationnelle de l’arsenal nucléaire français. Un centre de recherche franco-britannique sera implanté à Aldermaston, dans le sud-est de l’Angleterre.

Le second projet emblématique de coopération est la création d’une force conjointe expéditionnaire interarmées (Combined Joint Expeditionary Force, CJEF), forte de 6.500 hommes fournis par la France et le Royaume-Uni. Cette entité ne sera pas « permanente » mais devra « rester diponible en permanence » pour être engagées dans le cadre d’opérations bilatérales ou de missions de l’ONU, de l’Otan, voire de l’Union européenne. Elle devra être en mesure de « mener des opérations de haute intensité » a-t-on expliqué du côté de la présidence française.

Cette force, qui ne sera pas semblable à la Brigade franco-allemande (BFA), sera placée sous un commandement unique, alternativement exercé par un officier français et britannique. Elle sera armée par un vivier d’unités appartenant aux deux pays. Les premiers exercices conjoints sont prévus en 2011.

Un autre domaine dont il a été beaucoup question ces dernières semaines concernent la coopération entre les groupes aéronavals des deux pays. Les récentes décisions du gouvernement britannique de doter ses porte-avions de catapultes et d’acquérir des F35C navalisés en lieu et place de F35B VSTOL, plus chers et moins performants, ont ouvert de nouveaux horizons. Ainsi, à partir de 2020, Paris et Londres coordonneront les indisponibilités pour maintenance de leurs groupes aéronavals de manière à ce qu’au moins un soit toujours en mer. Ce qui signifie que les Rafale de la Marine nationale pourront opérer depuis le pont d’envol du HMS Prince of Wales (le HMS Queen Elizabeth devant être revendu) et les avions britanniques pourront utiliser le Charles de Gaulle.

A l’occasion de la prochaine entrée en service de l’A400M au sein des forces aériennes des deux pays, il est question de mutualiser la maintenance des appareils et la formation de leurs pilotes. Les Français et les Britanniques devront aussi se partager une flotte d’avions ravitailleurs.

Un des gros volets de cette série d’accords évoque les aspects industriels. Une coopération technologique au sujet des sous-marins nucléaires a été annoncée. Les modes de propulsion et les lanceurs en seraient toutefois exclus. Mais les partenariats qui peuvent être structurants pour l’industrie de défense européenne concernent les drones et la filière missilière.

En matière d’avions sans pilote, les France et le Royaume-Uni vont lancer une coopération accrue dans le domaine des drones MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) pour une entrée en service relativement rapide (2015) et un programme commun visant à développer un démonstrateur de drone de combat. Le français Dassault Aviation et le britannique BAE Systems paraissent les mieux placés pour remporter la mise, notamment avec la mise au point du Mantis. D’ailleurs, et selon le Financial Times, les deux industriels seraient prêts à mettre en commun leurs moyens de recherche pour élaborer, à terme, un sucesseurs aux Rafale et aux Eurofighter Typhoon.

Enfin, Londres et Paris vont lancer un « plan stratégique décennal » afin de faire naître un « maître d’oeuvre européen unique » au sujet des missiles. Il est ainsi question de travailler, de part et d’autre du « Channel », sur des projets de missiles anti-navires et anti-aériens de courte-portée.

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