L’Iran envoie des « sacs d’argent » au président Karzaï

Les Etats-Unis ne sont pas opposés à ce que Téhéran participe au « réglement pacifique » de la situation afghane, comme l’a fait savoir Richard Holbrooke, l’envoyé spécial américain pour la région Af/Pak lors de la réunion du Groupe international de contact pour l’Afghanistan de Rome, la semaine passée. Mais pas plus.

Car, en effet, la Maison Blanche a fait part de son inquiètude, le 25 octobre, d’une ingérence iranienne dans les affaires internes de l’Afghanistan. La raison est la révélation faite par le New York Times, selon laquelle le chef du cabinet du président Karzaï, Oumar Daoudzaï, a reçu des millions de dollars de la part de Téhéran.

Cet argent, selon le quotidien, alimente un fonds secret qui sert à payer des chefs de tribus, des élus, voire des responsables taliban, afin de s’assurer de leur loyauté. Ainsi, les sommes versées par le régime iranien permettraient à ce dernier d’envenimer les relations entre le pouvoir afghan et ses alliés occidentaux.

« C’est en gros une caisse noire présidentielle, la mission de Daoudzaï est de faire progresser les intérêts de l’Iran » a ainsi déclaré un responsable au New York Times, d’autant plus que le directeur de cabinet de Karzaï, ancien ambassadeur à Téhéran, est un partisan d’une ligne anti-occidentale.

L’Iran a démenti catégoriquement les informations du quotidien américain, l’ambassade iranienne à Kaboul les ayant qualifiées « d’insultantes et de ridicules ». « Ces spéculations sans fondement viennent des médias occidentaux qui cherchent à semer la confusion dans l’opinion publique et à ternir les liens forts entre les gouvernements et les peuples des républiques islamiques d’Afghanistan et d’Iran » a-t-elle fait valoir par voie de communiqué.

Est-ce que les diplomates iraniens en poste à Kaboul ignorent les décisions prises à Téhéran? Toujours est-il que le président Karzaï, après avoir refusé de commenter les informations du New York Times, a reconnu recevoir des « sacs d’argent » de l’Iran, tout en assurant qu’il s’agissait d’une aide officielle et « transparente ».

« Le gouvernement iranien nous aide une ou deux fois par an en nous donnant 500.000, 600.000 ou 700.000 euros à chaque fois » a-t-il déclaré au cours d’une conférence de presse. « Il s’agit d’une aide officielle. Daoudzaï reçoit l’argent du gouvernement iranien conformément à mes ordres » a-t-il poursuivi.

Et sur le fait que l’argent soit versé en liquide, ce qui a de quoi surprendre et alimenter les soupçons de corruption, le président Karzaï a aussi une réponse. « Les versements en liquide sont effectués par plusieurs pays amis pour aider le bureau du président. C’est une chose que j’ai évoquée avec le président Bush à Camp David » a-t-il expliqué. « Je vous rappelle qu’en 2002, plusieurs pays versaient de l’argent aux Afghans en liquide » a-t-il ajouté.

Toujours est-il qu’argent liquide et « transparence », ça sonne comme un oxymoron et que l’on ne peut s’empêcher de se demander à quoi ont servi ces sommes. L’Iran a « donné beaucoup d’aide » pour la reconstruction de l’Afghanistan et « va continuer » a indiqué le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, ce 26 octobre. « La stabilité de l’Afghanistan est très importante pour la République islamique d’Iran, pays voisin » a-t-il encore rappelé.

Quoi qu’il en soit, ce financement iranien est à mettre en perspective avec les informations selon lesquelles Téhéran apporterait une aide à l’insurrection menée par les taliban dans le sud de l’Afghanistan, alors même que le régime iranien soutient officiellement celui du président Karzaï.

Ce soutien avait été évoqué par l’ancien commandant de la Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF), le général McChrystal, dans son rapport d’évaluation stratégique de la situation afghane rendu en septembre 2009. « La Force Qods (l’unité des Pasdarans chargée des actions à l’étranger) entraînerait certains groupes taliban et fourniraient d’autres formes d’assistance militaire aux insurgés » avait-il écrit à l’époque. « La politique et les actions de l’Iran ne constituent pas une menace à court terme pour la mission, mais l’Iran a la capacité de menacer la mission à l’avenir » avait-il aussi prévenu.

Preuve de ce double-jeu iranien, la saisie, dans la province de Nimrouz, au début du mois, de 20 tonnes d’explosifs en provenance de l’Iran. L’ancien gouverneur de cette région frontalière, Ghulam Dastgir Azaad, a indiqué avoir été la cible d’attaques menées avec des armes iraniennes par des activistes venus de l’autre côté de la frontière.

Même si Téhéran n’apprécie pas de voir une forte présence militaire américaine à ses portes, il n’en reste pas moins que les difficultés rencontrées par les Etats-Unis et leurs alliés en Afghanistan ne peuvent que l’arranger. En d’autres termes, tant que les Occidentaux sont occupés à régler la question afghane, ils ne se lanceront pas dans une autre aventure militaire qui viserait son programme nucléaire et balistique.

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