Une espionne (trop?) discrète

Il y a ceux qui parlent et qui ne font rien. Puis il y ceux qui se taisent et qui agissent. Et Eileen Nearne faisait assurément partie de la seconde catégorie. Le corps de cette vieille dame de 89 ans a été découvert dans son appartement, le 2 septembre dernier, à Torquay, dans le sud de l’Angleterre. Apparemment, elle aurait été victime d’une attaque cardiaque quelques jours auparavant.

N’ayant aucune famille et vivant dans le dénuement, Eileen Nearne aurait dû être inhumée dans le carré des indigents. Personne dans son voisinage n’avait établi de relations avec elle. Et personne ne pouvait soupçonner ce qu’elle avait accompli au cours de la Seconde Guerre Mondiale.

Car Eileen Nearne était un ancien agent du Special Operation Executive (SOE), le service secret britannique mis sur pied par Winston Churchill en juillet 1940 pour « mettre le feu à l’Europe » en soutenant clandestinement les réseaux de résistance dans les pays occupés par l’Allemagne nazie. Cet aspect de sa vie a été découvert presque par hasard, grâce à l’employé municipal qui, venu dans son appartement pour faire l’inventaire de ses objets personnels, a trouvé des documents datant des années 1940, des billets en vigueur lors de l’occupation de la France ainsi que des médailles.

Alors qu’elle servait en tant qu’auxiliaire de la Royal Air Force (Women »s Auxiliary Air Force, WAAF), Eileen Nearne est par le SOE en raison de sa maîtrise de la langue française. Son père, anglais, et sa mère espagnole avait résidé en France pendant quelques années avant le début de la guerre.

Ainsi, avec l’indicatif « Rose », Eileen Nearne est envoyée à plusieurs reprises en France occupée, dont une fois dans l’Indre, lors d’un vol nocturne accompli à bord d’un Lysander. Elle est l’opératrice radio de Jean Millet (alias Savy), un commandant français membre du SOE qui dirige le réseau Wizzard. Leur mission est de préparer les futurs parachutages en vue des opérations alliées à venir.

Le groupe tombe par hasard sur un document prouvant l’existence d’un dépôt de 2.000 bombes volantes V1 dans la région de Saint-Leu-d’Esserent. Devant l’importance du renseignement, Jean Savy retourne à Londres et laisse Eileen Nearne en France. Plus tard, plusieurs raids de l’aviation américaine et de la RAF détruiront les V1 allemands.

En juin 1944, Eileen Nearne, dont le nom d’emprunt est « Mademoiselle du Tort », est arrêtée par la Gestapo après la détection d’une de ses émissions radio. Emmenée au quartier général de la police nazie à Paris, elle est alors soumise à la torture et subit le traitement dit de la « baignoire ». Mais la jeune anglaise ne craque pas et arrive même à faire croire qu’elle communiquait avec un homme d’affaires britannique. Cela étant, elle est déportée, le 15 août, au camp de Ravensbrück, en Allemagne, puis transférée dans un camp de travail forcé en Silésie.

Le 13 avril 1945, elle parvient à s’échapper avec deux françaises appartenant au même commando de travail qu’elle. Reprises par les SS, les trois femmes réussissent à tromper leur vigilance et à continuer leur périple. Elles seront finalement cachée par un prêtre à Leipzig, jusqu’à l’arrivée des troupes alliées.

Après la guerre, Eileen Nearne a, semble-t-il, connu une existence plus paisible à Londres, en compagnie de sa soeur. Et depuis, elle n’a jamais fait parler d’elle, malgré ses états de service. Finalement, « Mademoiselle du Tort », décorée de l’ordre de l’Empire britannique, ne sera pas enterrée dans le carré des indigents. Des obsèques officielles seront organisées le 21 septembre à Torquay, avec la présence de vétérans de la Royal British Union.

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