Un institut britannique appelle à un changement de stratégie en Afghanistan

Parce que la stratégie de contre-insurrection menée par l’Otan en Afghanistan ne donne pas rapidement de résultats tangibles, la tentation est grande chez certains d’en adopter une autre. Et dans leur grande majorité, les commentateurs estiment que la situation afghane est loin de s’améliorer.

Pourtant, les troupes de l’Otan sont loin de démériter. Et contrairement à ce qu’il est donner à penser, les taliban n’ont pas l’initiative. Certes, ils mènent des attaques spectaculaires contre des bases de la coalition. Mais ces opérations, très médiatiques, ne se traduisent pas par des résultats tactiques évidents.

Prenons l’exemple du Battle Group Bison, armé principalement par le 126e Régiment d’Infanterie de Brive. A la fin du mois dernier, en collaboration avec leurs homologues américains et afghans, les militaires français ont conduit l’opération Normandy Eagle, avec pour objectif d’explorer une zone difficile de la vallée d’Uzbeen. Bilan : saisie d’armement, de munitions, d’explosifs et de matériels servant à fabriquer des bombes artisanales, deux laboratoires de transformation de drogue et de fabrique de faux papiers démantelés, contact avec la population civile.

« La dynamique que les taliban ont établie ces dernières années a été inversée dans de nombreuses régions du pays et sera également inversée dans les autres régions » a ainsi déclaré le général David Petraeus, le commandant de la Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF), sur les ondes de la BBC le 22 août dernier.

Seulement voilà, les efforts militaires ne sont qu’une variable dans l’équation compliquée posée par le problème afghan, d’autant plus que s’ajoute le facteur temps ainsi que la lassitude des opinions publiques. « Nous ne cessons de nous endetter auprès des Chinois, nous supprimons des postes de policiers chez nous, pour en envoyer entraîner la police afghane : cette politique ne tient pas debout » a ainsi déclaré, en juillet, Jay Inslee, le représentant démocrate de l’Etat de Washington, lors du vote de crédits pour financer les opérations en Afghanistan.

Cette stratégie de contre-insurrection est de plus en plus souvent remise en cause, avec des arguments discutables dans certains cas. Ainsi, Jérôme Batout, membre du Royal Institute of International Affairs, estimait récemment, dans les colonnes du Figaro, qu’elle ne pouvait être valable que pour les pays ayant eu une tradition étatique et que, si elle avait fonctionné pour l’Irak, il en allait autrement avec l’Afghanistan où le mode tribal a toujours prévalu et qu’il fallait plutôt chercher des solutions en lisant les Mémoires du Cardinal de Retz, acteur de la Fronde, cette période de l’histoire de France où l’autorité royale fut contestée par les princes Condé et Conti et rétablie en désolidarisant ces derniers des « petits seigneurs ».

Seulement, si l’Afghanistan n’est pas l’Irak, elle n’est pas la France de Louis XIV non plus. Et cette démonstration, qui se veut originale, ne prend pas en compte tous les paramètres complexes de la question afghane, ni même les motivations et les objectifs poursuivis par les différents mouvements insurgés, qui se combattent même parfois entre eux, comme les militants du Hezb-e-Islami et les taliban. Et comparer le cardinal de Retz au mollah Omar, c’est aller un peu vite en besogne pour abandonner la lecture de Galula, Trinquier et Lyautey. (*)

Pour l’Institut International d’Etudes Stratégiques (IISS), basé à Londres, cette stratégie de contre-insurrection poursuit des buts trop ambitieux. Les efforts pour construire un Etat en Afghanistan et réduire l’insurrection « ont atteint leur limite d’un point de vue militaire et politique » estime, dans son bilan stratégique 2010, ce think tank, qui doute par ailleurs que les objectifs en matière de formation des forces de sécurité afghanes et de lutte contre la corruption et le trafic de drogue soient atteints.

« Pour les pays occidentaux, être dans une impasse militairement et psychologiquement (en Afghanistan) ne servira pas, plus largement, leurs intérêts politiques et sécuritaires » a expliqué John Chipman, le directeur de l’IISS, au cours d’une conférence de presse.

Aussi, l’institut londondien préconise une nouvelle approche, en se focalisant sur al-Qaïda et à oeuvrer pour que bâtir un Etat afghan de nature fédérale, qui prendrait en compte les divisions éthniques du pays, tout en diminuant les effectifs militaires de l’Otan. Parallèlement, l’IISS recommande aussi de mettre en place une nouvelle stratégie à l’égard du Pakistan, « qui a résisté fermement », jusqu’à présent, aux pressions pour mener des actions contre les taliban afghans réfugiés sur son territoire. C’est en fait, peu ou prou, ce que proposait le vice-président américain, Joe Biden, au moment où les options concernant la politique à suivre en Afghanistan étaient sur le bureau de Barack Obama, à l’automne 2009.

« L’avenir est manifestement du côté de négociations avec ou entre les participants au conflit », estime également l’IISS. Mais pour cela, encore faut-il être en position de  force pour imposer ses vues. Et les coups portés aux insurgés par les forces de l’Otan peuvent y contribuer.

Des chiffres ont été peu commentés, malgré leur importance. Au cours des trois derniers mois, les forces spéciales de la coalition internationale, dont la Task Force 373 mise sous les projecteurs lors de la divulgation de documents concernant les opérations en Afghanistan par le site Wikileaks, ont neutralisé 365 commandants taliban et arrêté 1.395 suspects.

Ces raids ciblés seraient sans doute de nature à inciter les dirigeants de l’insurrection à accepter des négociations de paix. Pour autant, le conflit afghan concerne surtout l’éthnie pachtoune, majoritaire dans le pays et dont le président Hamid Karzaï est issu.

L’intégration du mouvement taleb dans le jeu politique afghan risque de ne pas plaire aux autres groupes éthniques, tels que les tadjiks, les ouzbeks ou encore les hazaras. Finalement, la probabilité serait ainsi forte pour que la situation afghane redevienne comme elle l’était avant l’automne 2001… Du moins si l’Otan quitte le pays trop tôt, ce qui pourrait provoquer, selon l’IISS, une « implosion de l’Afghanistan ».

(*) Au sujet de l’article de Jérôme Batout, lire la réponse « épicée » d’Olivier Kempf, d’EGEA.

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