Srebrenica : Le général Morillon demande pardon au nom de « l’Europe »

En mars 1993, le général français Philippe Morillon, alors commandant de la Force de protection des Nations unies (FORPRONU) promettait de ne jamais abandonner la population musulmane de l’enclave de Srebrenica, en Bosnie-Herzégovine. A l’époque, ce territoire était en proie à une guerre qui impliquait trois communautés : les Serbes, les Croates et les Bosniaques. Au début, chacun nourissait des politiques différents, entre soumission à Belgrade pour les premiers et indépendance par rapport à la Fédération yougoslave pour les deux autres.

Sous l’impulsion du général Morillon, et surtout grâce à son « coup de gueule » médiatique, Srebrenica est décrétée zone de sécurité par la résolution 819 du Conseil de sécurité de l’ONU le 16 avril 1993. Cinq autres enclaves suivent par la suite, avec la résolution 824. Seulement, les deux textes onusiens n’autorisent pas la FORPRONU à faire usage de la force pour protéger les territoires dont elle avait la charge.

Le 11 juillet 1995, l’enclave de Srebrenica tombe aux mains des forces serbes, emmenées par Ratko Mladic, aujourd’hui recherché par la justice internationale. La suite sera terrible : 8.000 civils musulmans bosniaques sont massacrés. Il s’agit alors de la pire tuerie jamais commise en Europe depuis la fin de le Seconde Guerre Mondiale.

Plusieurs éléments peuvent expliquer cette issue dramatique. A commencer par le fait que Srebrenica était contrôlé le commandant bosniaque Naser Oric (*). S’exprimant, en 2001, devant une mission d’information parlementaire concernant les évènements de Srebrenica, le général Morillon témoigne :

« Ce dernier (ndlr, Naser Oric) reconnaît lui-même qu’il a été amené à conduire à partir de cette enclave (ndlr, Srebrenica) une guerre qui a provoqué des massacres de la population serbe des villages environnants. Il était ainsi devenu pour les Serbes l’ennemi public numéro un, à la suite en particulier d’une action qu’ils n’ont jamais voulu lui pardonner et qui s’était passée dans la nuit du Noël orthodoxe, nuit sacrée de janvier 1993, où il a mené des raids sur des villages serbes et commis des massacres de population. (…) Il y avait un degré de haine accumulée qui me faisait craindre ce qui, malheureusement, s’est produit deux ans plus tard, c’est à dire que si Srebrenica tombait aux mains des Serbes, il y aurait des massacres épouvantables ».

Au moment des faits, Srebrenica est sous la responsabilité du contingent néerlandais de la FORPRONU. Et malgré sa présence, le massacre n’a pas pu être empêché. Pourtant, une demande de frappes aériennes contre les forces des Serbes de Bosnie avait été demandée la veille des exactions.

Ce refus vaudra au général Bernard Janvier, alors commandant de la FORPRONU des soupçons d’accord secret passé avec Ratko Mladic. L’officier français a toujours réfuté ces allégations. Pour tenter d’expliquer cette absence de soutien aérien, il faut remonter quelques semaines plus tôt.

En mai 1995, et alors que l’Otan est impliquée dans le conflit des Balkans, un ultimatum est lancé aux Serbes : ces derniers intensifient le siège de Sarajevo et ne respectent pas la zone d’exclusion des armes lourdes autour de la capitale bosniaque.

C’est alors que, le 25 mai, les avions de l’Otan visent un dépôt de munitions à Pale, le fief des Serbes de Bosnie. En représailles, ces derniers bombardent les zones de sécurité, faisant un certain nombre de victimes et prennent en otage 200 casques bleus, dont une centaine de français, pour les utiliser en tant que boucliers humains pour se prémunir contre les raids aériens. C’est à la suite de ces évènements que le président Jacques Chirac, nouvellement élu, ordonne aux militaires français de résister aux agressions, ce qui se traduira, le 27, par la reprise du poste de contrôle du pont de Verbania, alors aux mains des Serbes, par le 3e RIMa.

Aussi, le général Morillon a-t-il eu raison de demander « pardon » aux familles des victimes de Srebrenica au nom de « l’Europe », comme il l’a fait le 3 septembre dernier au cours d’une visite au village martyr?

« Je suis venu demander pardon pour l’Occident, pour l’Europe, pour ce que nous n’avons pas su faire (…) que nous n’avons pas été capables de le faire » a ainsi déclaré le général Morillon, qui a entamé une carrière politique depuis son départ de l’armée.

Il est toujours plus facile de refaire l’histoire après coup. Les parlementaires néerlandais ont mis en cause le général Janvier, dans un rapport établi en janvier 2003 et concernant les massacres de Srebrenica. Notamment à cause de son refus d’autoriser des frappes aériennes.

Pour leurs homologues français, c’est « l’erreur tactique » des casques bleus néerlandais, qui se sont laissés désarmer par les Serbes de Bosnie, qui a été pointée du doigt. Mais les deux rapports mettent surtout en cause l’ONU, avec la lourdeur de ses procédures.

« L’ensemble de la communauté internationale n’a pas regardé la réalité et n’était par conséquent pas suffisamment préparée aux crimes de guerre commis par les Serbes de Bosnie » a en effet estimé le rapport des parlementaires néerlandais.

« La mission de la FORPRONU n’a jamais été claire; cent résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU ont été votées en quatre ans pour le seul théâtre yougoslave, soit deux par mois environ. Souvent, elles infléchissaient et obscurcissaient encore cette mission. Circonstance aggravante : le secrétaire général et son représentant sur le terrain se sont toujours refusé à traduire des résolutions générales en missions précises données au commandant de la FORPRONU » a ainsi écrit, pour la Saint-Cyrienne, le général Jean Cot, le successeur du général Morillon en juillet 1993 à la tête des casques bleus, dont 7.500 étaient français.

Mais celui qui a exprimé avec le plus de justesse, sans doute, les difficultés des casques bleus déployés en Bosnie, qui ont amené les exactions de Srebrenica, est François Léotard, le ministre de la Défense de 1993 à 1995.

« Si des erreurs ont été commises, c’est moi qui doit les assumer. Le général Janvier n’a fait qu’appliquer les règles de l’ONU. Faire la guerre avec des casques bleus à qui l’on demande de ne pas tirer, moi, je ne sais pas faire » a-t-il déclaré en novembre 2001, au moment de la publication du rapport parlementaire concernant Srebrenica.

Quoi qu’il en soit, et dans une indifférence quasi générale, la FORPRONU a perdu plus de 160 hommes en quatre ans. La moitié de ces soldats de la paix tués étaient français (voir la vidéo.

(*) Arrêté par la SFOR en avril 2003, Naser Oric a été accusé par le TPIY (Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie) de violations des lois ou coutunes de la guerre. Condamné à 2 ans de prison en première instance, il a été acquitté en juillet 2008, pour manque de preuves.

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