WikiLeaks : La quantité ne fait pas la qualité

Certes, le Pentagone a ouvert une enquête criminelle pour retrouver l’origine de la fuite qui a permis au site WikiLeaks de publier, le 26 juillet, plus de 90.000 documents concernant les opérations militaires en Afghanistan. D’ailleurs, il est probable que le regard des enquêteurs se portent sur Bradley Manning, le soldat américain qui avait déjà livré au site en question une vidéo confidentielle en relation avec la mort d’employés de l’agence Reuters en Irak, en juillet 2007.

En fait, Bradley Manning aurait transmis – via des CD portant la mention « Lady Gaga » – de nombreux documents à WikiLeaks, parmi les 260.000 qu’il affirme avoir téléchargés. Sa piste a été remontée assez rapidement par la Division enquête criminelle de l’US Army à cause, justement, de son manque de discrétion. Le soldat, sous le pseudo Bradass87 (qui reprend une partie de son prénom, Brad, et son année de naissance) est en effet entré en contact avec un pirate informatique californien, lequel a fini par le dénoncer. Reste à savoir si ce jeune analyste de l’US Centcom, le commandement américain pour l’Asie centrale et le Moyen Orient, a agi seul. Au vu de la somme des documents volés, il est permis d’en douter.

Certes, la diffusion de certaines informations contenues dans les documents mis en ligne par WikiLeaks peut poser divers problèmes, à commencer par la possible divulgation de noms de personne ayant collaboré avec les Etats-Unis en leur donnant des renseignements sur l’insurrection et al-Qaïda. C’est donc tout un réseau d’informateurs mis en place en Afghanistan et au Pakistan qui peut se retrouver menacé. Selon WikiLeaks, qui se veut responsable, 15.000 rapports ayant un lien avec des individus ayant collaboré avec les militaires américains n’ont pas été publiés. Selon le Pentagone, il faudra des semaines pour étudier tous les documents mis en ligne afin d’en évaluer « les dégâts potentiels ».

Pour le reste, la fuite organisée par WikiLeaks, aussi volumineuse soit-elle, n’a toutefois pas la même importance que celle des « Pentagon Papers », révélés en 1972 et portant sur l’origine de la guerre du Vietnam. Dans le fond, c’est le général James Mathis, le futur remplaçant du général Petraeus à la tête de l’US Centcom, qui a l’estimation sans doute la plus juste concernant la portée de cette affaire.

« Ceci dit, (…) je pense qu’il est terriblement irresponsable de publier ces informations. Mais (ces documents) ne m’ont rien appris que nous ne savions déjà » a déclaré l’officier américain devant des sénateurs du Congrès. « Un des titres de journaux que j’ai vu disait que la guerre est tendue et difficile. Bon, si c’est ça l’information, je ne sais pas qui sur cette Terre aura appris quelque chose de neuf » a-t-il insisté.

Aussi, est-il exagéré de voir dans l’initiative de WikiLeaks « la guerre d’Afghanistan telle que les médias ne la racontent pas », pour reprendre le titre d’un papier publié par l’hebdomadaire Marianne. Car, les documents révélés n’apprennent rien de fondamentalement nouveau mais apportent toutefois des précisions sur certains aspects ou donnent encore des tendances.

Par exemple, le jeu ambigu du Pakistan, avec le soutien apporté par ses services secrets aux réseaux insurgés n’est pas le scoop du siècle. Même chose pour l’implication iranienne en Afghanistan. La Task Force 373? Eh bien l’on sait désormais que c’est l’unité qui regroupe la Force Delta de la CIA et des Navy Seals, spécialisés dans les actions clandestines.

Autre exemple, qui concerne les troupes françaises cette fois. En consultant la base de données de WikiLeaks, l’on s’aperçoit que des militaires français ont perdu des équipements au cours d’un accrochage avec les insurgés, le 18 octobre 2008. A la lecture du rapport, l’on apprend qu’il s’agit de deux missiles et qu’il a été demandé à un pilote d’A10 Thunderbolt, venu en appui aérien, de les détruire en largant une bombe GBU, ce qu’il ne fera finalement pas, de crainte de causer des dommages collatéraux. Or, cette information n’a jamais été cachée en France puisque Zone Militaire l’a relatée à l’époque.

Quant aux tendances révélées par WikiLeaks, on note bien évidemment la prédominance des attaques par des engins explosifs improvisés et surtout la concentration des incidents. Et quand l’on entend dire que l’insurrection est généralisée en Afghanistan, l’on peut tout de même noter que deux régions sont principalement concernées : le sud (Helmand, Kandahar) et l’est du pays, avec respectivement 30.234 et 38.003 incidents recensés en 5 ans. A comparer avec les 2.143 rapports établis pour le nord afghan et les 2.934 autres qui concernent l’ouest.

Enfin, ce qui constitue l’attrait de ces documents est qu’ils ne sont pas destinés à être consultés par le commun des mortels. Ce sont pratiquement tous des fichiers SIGACT (Significant Activity Report), qui recencent tous les événements notables au cours d’une journée. Ils sont disponibles pour les militaires engagés sur le théâtre d’opérations mais aussi pour les employés de sociétés militaires privées en contrat avec le Pentagone via un réseau Intranet sécurisé, le Secret Internet Protocol Router Network (SIPRNet).

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