Le dessous des opérations en Afghanistan confirmé par Wikileaks

La peine de 52 ans de prison que risque l’analyste militaire américain Bradley Manning pour avoir envoyé au site WikiLeaks une vidéo confidentielle concernant les circonstances de la mort d’employés de l’agence de presse Reuters en Irak, en juillet 2007, ne semble pas avoir eu d’effet dissuasif.

En effet, WikiLeaks, spécialisé dans la divulgation de documents confidentiels, a une nouvelle fois créé l’événement en mettant en ligne 91.731 rapports de l’armée américaine portant sur les opérations en Afghanistan.

Dans les grandes lignes, ces documents confidentiels, rédigés sans fioritures, confirment certains éléments ou apportent un éclairage nouveau.

1- Les services secrets pakistanais (ISI) soutiennent le mouvement taleb afghan

Officiellement, le Pakistan est au côté des Etats-Unis pour lutter contre les réseaux terroristes. Dans l’édition du quotidien Le Monde, le 14 juillet dernier, le conseiller à la sécurité nationale du président Obama déclarait : « Nous travaillons aussi avec nos amis pakistanais qui ont la responsabilité de leur frontière dont le franchissement par les forces talibanes constitue un grand problème. Nous espérons que l’armée pakistanaise va s’engager de manière efficace, mais il faut reconnaître que, depuis l’année dernière, les Pakistanais font du bon travail dans la vallée de Swat et au Sud Waziristan. Nous travaillons beaucoup plus étroitement, ce n’est pas encore parfait, mais c’est mieux ».

Certes, le Pakistan permet aux drones de la CIA de mener des raids depuis son territoire contre des responsables terroristes ou appartenant à la mouvance des taliban. Mais il se garde bien d’intervenir contre ceux qu’il a soutenus dans les années 1990 pour mieux se concentrer sur ses taliban appartenant au TTP d’Hakimullah Mehsud, lequel est allié avec al-Qaïda et son pendant afghan, quitte à jouer un double jeu dangereux.

Plusieurs études ont montré que les services secrets pakistanais soutiennent l’insurrection afghane. Si les documents révélés par WikiLeaks n’apprennent rien de nouveau en la matière, ils en apportent la confirmation.

Ainsi, il est fait mention d’une rencontre entre le général pakistanais Hamid Gul, ancien patron de l’ISI, et des commandants taliban, accompagnés par des combattants arabes (ce qui laisse à penser qu’ils appartenaient à al-Qaïda). Le rapport indique les discussions, qui ont eu lieu en janvier 2009 à Wana, la capitale du Sud-Waziristan, ont porté sur la préparation d’attentats suicides afin de venger la mort d’un dirigeant terroriste, Ousama al-Kini, tué lors d’un raid réalisé par un drone américain.

Le New York Times, qui a eu droit a la primeur des informations publiées par WikiLeaks, note que ces documents « laissent entendre que le Pakistan, officiellement un allié des Etats-Unis, permet à des membres de ses services de renseignement de traiter directement avec les taliban » et explique qu’ils « organisent des réseaux de groupes d’insurgés qui combattent les soldats américains en Afghanistan, et même montent des complots visant à assassiner des dirigeants afghans ».

Pourtant, et depuis 2001, Islamabad a reçu des milliards de dollars de la part de Washington pour son soutien à la lutte contre le terrorisme. Et ce n’est pas fini puisque lors d’un récent déplacement au Pakistan, Hillary Clinton a promis une aide supplémentaire de 500 millions de dollars. Sauf qu’une partie de ces sommes a servi à toute autre chose, de l’aveu même de l’ancien président pakistanais, le général Pervez Musharraf.

En fait, sur les 12 milliards de dollars reçus par Islamabad, quelques uns ont servi à renforcer militairement la frontière avec l’Inde et à, sans doute, moderniser son arsenal nucléaire. « C’était dans l’intérêt du Pakistan, voilà pourquoi j’ai agi ainsi (…) et je me moque bien de savoir si cela met les Etats-Unis en colère » a déclaré, en septembre 2009, Pervez Musharraf.

Pour le Pakistan, l’Inde représente plus une menace que les taliban afghans, lesquels lui servent de pion pour se ménager une « profondeur stratégique » en Afghanistan dans le cas d’un conflit avec son ennemi de toujours. D’ailleurs, Islamabad fait tout pour torpiller d’éventuelles bonnes relations entre Kaboul et New Delhi. La preuve avec l’attentat perpétré le 7 juillet 2008 contre l’embassade indienne dans la capitale afghane (41 tués). Selon les documents de WikiLeaks, l’ISI en aurait été le commanditaire et les taliban, les exécutants.

2- L’implication iranienne

Là encore, plusieurs éléments ont récemment fait état d’une implication iranienne en Afghanistan. Tant que les Etats-Unis seront engagés dans ce pays, ils ne se lanceront pas dans des opérations militaires visant le programme nucléaire de Téhéran. C’est en tout cas le calcul que doivent faire les dirigeants iraniens.

L’an passé, le général McChrystal, alors tout nouveau commandant de la Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF), avait évoqué une aide iranienne apportée aux taliban. « La Force Qods (l’unité des Gardiens de la Révolution chargées des opérations extérieures) entraînerait certains groupe taliban et fournirait d’autres formes d’assistance militaire aux insurgés » avait-il écrit dans son rapport d’évaluation stratégique, en septembre dernier.

Récemment, le Sunday Times a précisé que cette aide militaire se traduisait à un entraînement à la manipulation des engins explosifs improvisés, dans les environs de la ville de Zahedan, dans le sud-est de l’Iran.

Ce que les documents publiés par WikiLeaks révélent est que cette implication iranienne semble plus ancienne que l’on pouvait le croire. Ainsi, un rapport de janvier 2005 fait état du financement du Hezb-e-Islami, le parti islamique du seigneur de guerre Gulbuddin Hekmatyar, à hauteur de 212.000 dollars. Cette somme aurait été versée par les services de renseignement iraniens.

Un autre document de l’ISAF, établi un mois plus tard, affime que des attentats ont été planifiés dans les provinces du Helmand et de l’Uruzgan par des responsables taliban depuis le sol iranien. En outre, Téhéran aurait payé à chaque dirigeant insurgé les sommes de 1.740 dollars pour un soldat afghan tué et de 3.480 pour la mort d’un responsable gouvernemental.

Enfin, un compte-rendu daté de juin 2006 affirme que des combattants taliban et appartenant au Hezb-e-Islami auraient suivi un entraînement à Birjand, une ville iranienne proche de la frontière afghane. C’est à partir de cette localité que des armes et des bombes auraient été acheminées en Afghanistan.

Le silence de Kaboul sur ses agissements aurait une explication, selon un des documents rendus public. En effet, le président Karzaï souhaiterait « éviter des frictions supplémentaires avec les voisins de l’Afghanistan ».

3- Méthodes de l’insurrection

La somme des documents publiés par WikiLeaks confirment que les engins explosifs improvisés (EEI ou IED) sont l’arme de prédilection des insurgés : 17.915 rapports en font mention. Sur le lot, 7.202 font état de leur explosion et 8.581 de leur découverte et de leur neutralisation.

Par ailleurs, 7.237 documents concernent des attaques sporadiques contre des bases avancées de la coalition. Quant aux méthodes utilisées par les taliban, on note le recours aux enlèvements (110 rapports), à l’intimidation (comme par exemple en menaçant par téléphone des officiers afghans), au meurtre de civils, qu’ils soient étrangers ou travaillant pour les forces de la coalition (voir l’exemple de ce vendeur décapité).

Enfin, et pour illustrer les difficultés auxquelles doivent faire face les troupes sous commandement de l’Otan, un rapport d’avril 2007 indique qu’un responsable du réseau Haqqani, très actif dans l’est de l’Afghanistan et soutenu par l’ISI, a en sa possession trois véhicules aux couleurs de l’armée nationale afghane pouvant transporter des explosifs (Vehicule-Borne Improvised Explosive Devices – VBIED). Cette capacité à jouer les caméléons peuvent aussi expliquer certaines « bavures », lesquelles n’impliquent pas toujours des civils mais aussi les tirs « amis ».

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