Afghanistan : McChrystal limogé, le général Petraeus le remplace

A y regarder de plus près, ce n’est pas le général Stanley McChrystal en personne qui a tenu des propos jugés « déplacés » à l’encontre de l’administration Obama. L’article du magazine Rolling Stone qui a mis le feu aux poudres ne reproduit en fait que des paroles prononcées par ses proches collaborateurs, lesquels ont sans doute répété les appréciations négatives de leur supérieur à l’égard de l’exécutif américain. Et visiblement, il ne les a pas désaprouvées devant le journaliste venu faire son portrait.

Officier des forces spéciales, issu d’une famille de militaires, le général McChrystal est coutumier des écarts de ce type. Il faut dire aussi qu’il n’a pas gagné ses étoiles et ses médailles en fréquentant les salons mondains qu’il n’apprécie guère et qu’il tient un langage plutôt « fleuri ». « Quand les talons claquent, la tête se vide » disait le maréchal Lyautey. Cela ne risquait pas d’arriver à McChrystal connu pour « dire tout haut ce que d’autres pensent tout bas ». Et fatalement, il arrive un moment où cette conduite ne passe plus parce que les bornes sont dépassées.

Travailleur acharné doublé d’un ascète (il ne prend qu’un repas par jour), le général McChrystal s’est notamment illustré avec les succès qu’il a obtenus en Irak, avec notamment la capture de Saddam Hussein et l’élimination du chef terroriste Abou Moussab al-Zarkaoui. Et lorsque, en juin 2009, il a fallu trouver un remplaçant au général McKiernan à la tête de la Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF) en Afghanistan, l’option McChrystal est apparue comme étant idéale.

A peine nommé, le général McChrystal a d’abord évalué la situation en Afghanistan pour ensuite élaborer une nouvelle stratégie, laquelle fera l’objet d’un long débat entre les tenants d’une approche contre-insurrectionnelle (COIN), qui a les faveurs du Pentagone et les partisans des actions de contre-terrorisme, tels que le vice-président Joe Biden.

Finalement, en décembre 2009, le président Obama rend son arbitrage en faveur de la stratégie proposée par le général McChrystal, même si ce dernier n’obtient pas la totalité des renforts qu’il avait demandés pour son application. L’approche défendue par le commandant de l’ISAF met alors l’accent sur la protection de la population civile, la reconquête du pays utile et le tenir ainsi que la formation des forces de sécurité afghane avec le concept d’embedded partnering (partenariat intégré) avec les troupes de l’Otan.

Pour autant, il semblerait que, même si le président Obama est allé dans le sens souhaité par le général McChrystal, le débat sur la conduite des opérations en Afghanistan fasse l’objet de dissensions au sein de l’administration américaine. Et cela pourrait expliquer les paroles peu amènes prononcées par les proches colaborateurs de l’officier à l’égard des partisans du contre-terrorisme qui ont été reprises par le magazine Rolling Stone.

En clair, le général McChrystal aurait voulu avoir carte blanche qu’il ne se serait pas pris autrement, obligeant ainsi l’occupant du bureau ovale à faire un choix clair et définitif, d’autant plus que s’annonce une offensive de grande ampleur et important pour la suite des événements à Kandahar, dans le sud de l’Afghanistan.

Et le président Obama a tranché, mais sans doute pas dans le sens escompté par l’officier. Après un entretien avec le général McChrystal, il a démis ce dernier de ses fonctions de commandant de l’ISAF, en dépit des soutiens qui se sont manifestés en sa faveur de la part de membres de l’Otan et du président afghan Hamid Karzaï, lequel entretient des relations houleuses avec le locataire de la Maison Blanche.

« Aussi difficile que ce soit de perdre le général McChrystal, j’estime que c’est la bonne décision à prendre pour notre sécurité nationale » a ainsi déclaré Barack Obama, le 23 juin, en précisant que sa décision n’est pas due aux « insultes personnelles » mais en raison de « sa conduite », jugée « pas conforme aux critères requis ».

Pour Barack Obama, les propos du général McChrystal ont « érodé la confiance nécessaire pour que notre équipe travaille de concert à parvenir à nos objectifs en Afghanistan ». Le président Obama a par ailleurs rappelé que « le contrôle de l’armée par les civils » est « au coeur de notre système démocratique ».

« J’accepte volontiers un débat dans mon équipe, mais je ne tolèrerai pas de division » a-t-il encore insisté, à l’issue d’une conférence portant sur la région Af/Pak. Et cela peut également s’adresser à Joe Biden, au chef de l’administration, Rahm Emanuel et à l’ambassadeur américain en Afghanistan, l’ancien général Karl Eikenberry.

Pour ces derniers, la stratégie de contre-insurrection est vouée à l’échec parce qu’il n’y a pas de gouvernement fiable à Kaboul pour appuyer les efforts de reconstruction civile. A la place, ils proposent le retrait progressif du contingent américain et de mettre l’accent sur des actions ponctuels contre les responsables terroristes. Sauf que, et l’expérience l’a démontré, cela conduirait inévitablement au retour des taliban au pouvoir, avec tout ce que cela suppose. Cela voudrait dire, in fine, que tous les sacrifices consentis jusqu’ici n’aurait servi à rien.

Pour l’instant, le président Obama maintient la ligne annoncée en décembre dernier. Et la désignation du supérieur de McChrystal, le général David Petraeus, l’actuel chef de l’US Centcom, le commandement américain pour le Moyen Orient et l’Asie centrale, à la tête de l’ISAF en est la preuve.

En matière de COIN, le général Petraeus a fait ses preuves. C’est notamment sur la base de ses conseils que les forces américaines ont réussi à réduire considérablement les réseaux d’al-Qaïda en Irak. Et il a également joué un rôle majeur dans la rédaction du nouveau manuel de contre-insurrection de l’armée américaine, lui qui a sorti le penseur français David Galula, le « Clausewitz » de la la guerre insurectionnelle, de l’anonymat.

Cela étant, le général Petraeus est très populaire aux Etats-Unis au point qu’il pourrait nourrir des ambitions politiques. C’est en tout cas ce que craint une partie de l’administration Obama. Sa nomination à la place de son « élève » en matière de contre-insurrection montre que le choix concernant un poste aussi sensible que peut l’être la conduite des opérations en Afghanistan est finalement très réduit.

Cet épisode montre également que les alliés de l’Otan n’ont pas leur mot à dire au moment de désigner le commandant qui dirigera leurs troupes engagées sur le théâtre afghan, même si le choix du général Petraeus ne remettra pas profondément en cause la stratégie actuellement suivie.

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