Défense : Quelques pistes pour faire des économies

Rigueur budgétaire oblige, le ministère de la Défense devra faire des économies de l’ordre de 2 à 4,8 milliards d’euros sur trois ans selon les différents scénarios étudiés. Reste à voir quelles sont les solutions possibles et les secteurs menacés pour atteindre cet objectif.

1- Toucher aux programmes d’armement?

Après trois années d’investissements soutenus pour moderniser les armées, la nécessité de faire des économies pourrait passer par la solution classique appliquée depuis toujours par les gouvernements successifs. Autrement dit, les programmes d’armement serviraient, une fois de plus, de « variable d’ajustement ».

La recette est simple : on étale les commandes dans le temps ou bien on les diminue, voire on fait les deux à la fois. A court terme, cela génére des économies. Mais à plus long terme, cela rend les équipements plus coûteux qu’ils ne l’étaient initialement. Le dernier exemple en date étant les frégates multimissions (FREMM).

A priori, l’A400M devrait être épargné, ce qui serait logique étant donné toute l’énergie dépensée pour le sauver depuis maintenant plus d’un an. En revanche, il est possible que l’armée de l’Air soit obligée de prendre son mal en patience pour remplacer ses avions ravitailleurs C135 FR, entrés en service en 1964, par des A330 MRTT d’Airbus.

Quant à la Marine nationale, le second porte-avions risque fort de passer définitivement à la trappe. Une décision quant au lancement de sa construction devrait être prise en 2012 mais au vu du contexte actuel, l’on peut craindre un abandon de ce projet. Le programme de sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) Barracuda (7,9 milliards d’euros) pourrait être étalé dans le temps. Les livraisons de ces six submersibles de la classe Suffren devraient commencer à partir de 2017 et se terminer en 2028.

Par ailleurs, et alors que le Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale a préconisé la mise en service de 4 Bâtiment de projection et de commandement (BPC) de type Mistral, les marins pourraient s’en contenter de trois, le dernier, le Dixmude, ayant été commandé grâce au plan de relance de l’économie. A moins que les chantiers navals de Saint-Nazaire soient privés de la construction de deux BPC pour la Russie, ce qui les mettrait dans une situation financière très délicate.

Pour ce qui concerne l’armée de Terre, le programme Scorpion est susceptible d’être touché par les mesures économies. S’il sera difficile de passer outre le remplacement des véhicules de l’avant-blindé (VAB), en revanche, il est possible que le projet du futur engin blindé de reconnaissance, qui doit succéder aux AMX10-RC et aux Sagaie, soit remisé à plus tard, de même que la modernisation et la rénovation des chars Leclerc.

A moins que les programmes dits de « cohérence opérationnelle » fassent les frais du plan d’économies, étant donné qu’ils ont une faible visibilité politique et qu’ils ne représentent pas d’enjeux majeurs pour les industriels. Cela concerne, par exemple, les tourelleaux téléopérés des VAB, les jumelles de vision nocturne ou encore les kits de protection des véhicules blindés. Par le passé, ils ont été sacrifiés, là encore, pour des raisons économiques, même s’ils sont importants pour le soldat envoyé sur le terrain. En 2007, alors chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Bruno Cuche s’en était inquiété et avait parlé de « paupérisation » des forces terrestes dans un courrier adressé au chef d’état-major des armées de l’époque, le général Jean-Louis Georgelin.

Côté renseignement, le programme de satellite MUSIS (MUltinational Space-based Imaging System) ne devrait pas être menacé. D’une part, parce que la fonction « connaissance et anticipation » est une priorité fixée par le Livre blanc et d’autre part, il a une portée européenne étant donné qu’il doit, à terme, remplacer les systèmes Helios II, Sar-Lupe et COSMO-Skymed, dont la fin de vie théorique est prévue à partir de 2014.

En revanche, la suite donnée au démonstrateur technologique SPIRALE (Système préparatoire infrarouge pour l’alerte), qui vise à détecter les départs de missiles, reste à voir, sur fond de menace balistique iranienne. Cela étant, l’idée d’une défense antimissile, qui a ses partisans en France, risque d’avoir beaucoup de mal à s’imposer, d’autant plus qu’elle ne suscite pas un enthousiasme débordant de la part d’Hervé Morin, le ministre de la Défense.

2- Aller plus loin dans les réformes?

Rationaliser. Tel est l’objectif de la réforme des armées, ce qui a justifié la disparition de 80 implantations militaires et la mise en place des bases de défense. Peut-on aller encore plus loin? Sans doute. Encore que la proximité de la prochaine échéance présidentielle invite à la prudence, au vu des réactions suscitées par la refonte de la carte militaire.

La Marine nationale ne peut pas faire plus que ce qu’elle a consenti de faire en 2008. L’armée de Terre pourrait éventuellement « densifier » quelques implantations, comme par exemple à Pau. Quant à l’armée de l’Air, elle pourrait éventuellement se résoudre à fermer la base aérienne de Luxeuil, dont le maintien ne se justifie pas pleinement.

Reste à voir le projet de « Pentagone à la Française », qui sera construit dans le quartier Balard du XVe arrondissement de Paris. Son coût est de l’ordre de 600 millions d’euros et il devrait être apte à accueillir l’ensemble des personnels des états-majors installés dans la capitale à l’horizon 2014.

Si cette mesure doit permettre de faire des économies à long terme (encore faut-il que l’on en soit certain, d’autant plus que la Cour des comptes en doute), peut-être qu’il serait judicieux de reporter son exécution à des jours meilleurs.

3- Encore moins de personnels?

Déjà, les armées ont déjà accepter de perdre 54.000 postes entre 2009 et 2014 en échange de la modernisation des équipements et de la revalorisation salariale de leurs personnels. Leur format sera peu ou prou conforme à celui fixé par le Livre Blanc. Aller encore plus loin dans la réduction des effectifs serait par conséquent de nature à dégrader leurs capacités à remplir les missions qui leur sont assignées. A moins d’avoir un recours accru à l’externalisation de certaines tâches vers des sociétés privées. Seulement, les économies qui pourraient être réalisées ainsi ne seraient pas immédiates.

4- Réduire encore la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire?

En mars 2008, le président Sarkozy avait annoncé la réduction d’un tiers de la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire. Pourrait-on aller encore plus loin en la supprimant complètement, à l’image de ce qu’ont fait les Britanniques? A première vue, l’idée pourrait être séduisante.

Sauf que cela supposerait de revoir la doctrine française et plus précisément son aspect concernant « l’ultime avertissement », de passer sous silence sur le fait que la dissuasion nucléaire du Royaume-Uni est intégrée à celle de l’Otan, qui dipose d’une composante aéroportée et que les économies ainsi réalisées seraient d’autant plus aléatoires que le développement du missile ASMP-A est pratiquement terminé.

Par ailleurs, la composante aéroportées présente le meilleur rapport coût/bénéfice de la dissuasion. S’en passer serait donc une erreur.

5- Moins d’opérations extérieures?

Les opérations extérieures coûtent de plus en plus cher à la France. En 2009, leur coût a en effet été estimé à 873 millions d’euros, notamment en raison du durcissement de l’engagement militaire français en Afghanistan. A cela s’ajoute l’usure des matériels, non prise en compte (par exemple, il faut changer les semelles des chenilles des blindés déployés au Liban toutes les trois semaines).

Alors que certains pays, comme la Grande-Bretagne, se concentrent des opérations majeures, la France disperse ses effectifs militaires sur de trop nombreux théâtres. D’où des coûts importants en matière de logistique, de transports et d’états-majors.

Sans doute faudrait-il aller encore plus loin dans la révision des opérations extérieures auxquelles les armées françaises participent, à l’image de ce qui avait été entrepris en janvier 2009. Par ailleurs, étant donné que les Etats-Unis parlent d’un début de retrait d’Afghanistan de leur contigent à partir de 2011, la France pourrait en faire autant. Mais cela dépend de la situation afghane.

Encore que, réaliser des économies sur les opex relève d’un voeu pieux : en effet, nul ne sait quelle crise demandant une intervention militaire risque d’éclater dans les prochains mois.

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