Avions ravitailleurs US : EADS revient dans la course

L’appel d’offres visant à trouver un successeur à l’avion ravitailleur KC-135 de l’US Air Force n’en finit pas de rebondir, alors que ce dossier est de plus en plus urgent à mesure que le temps passe.

Petit rappel des faits : en 2002, c’est Boeing qui décroche une première fois le contrat, lequel sera dénoncé par le Congrès sous l’impulsion du sénateur républicain John McCain en raison d’un conflit d’intérêt avec des dirigeants du constructeur américain.

Six ans plus tard, et après un nouvel appel d’offres, c’est au tour d’EADS, associé à Northrop-Grumman, de rafler la mise avec le KC-45 (un dérivé de l’A330 MRTT) pour une commande de 179 avions pour un montant estimé entre 30 et 40 milliards de dollars. Mais cette victoire n’est pas du goût de tout le monde, surtout en période électorale : à ce moment là, le dossier devient une affaire politique.

Quelques semaines plus tard, Boeing, qui a beaucoup à perdre dans l’histoire, dépose un recours devant le GAO, l’équivalent de la Cour des comptes française outre-Atlantique, pour contester l’appel d’offres. Et le groupe américain obtient gain de cause. Le Pentagone est alors obligé de relancer la compétition.

Seulement, et après la publication du nouveau cahier des charges, Northrop-Grumman estime que la compétition est faussée en faveur de Boeing et décide, en mars 2010, de se retirer de l’appel d’offres. Son partenaire EADS en fait de même.

Du coup, ce sont les dirigeants européens – français et allemands en tête – qui ont donné de la voix pour dénoncer un « manquement grave » aux règles de la concurrence (dixit François Fillon).

La Commission européenne a quant à elle prévenu qu’elle « serait extrêmement inquiète s’il apparaissait que les termes de l’appel d’offres étaient de nature à empêcher une concurrence ouverte pour le contrat ».

En clair, le Pentagone serait coupable de protectionnisme, alors même qu’il n’hésite pourtant pas à confier des contrats à EADS pour équiper ses forces en hélicoptères, ou encore à BAE Systems, ce qui a permis au groupe britannique de se hisser au premier rang des industriels de l’armement en 2008 grâce notamment au marché américain.

Mais, et après le voyage officiel du président Sarkozy à Washington au début de ce mois, le Pentagone a accepté de prolonger son appel d’offres de 60 jours pour permettre à EADS de présenter un projet alternatif à celui de Boeing. Et Barack Obama de promettre à son homologue français un processus de sélection « libre et juste ».

Finalement, le 20 avril, après une longue réflexion, les dirigeants d’EADS ont décidé de revenir dans la course et de proposer à nouveau le KC-45 face au KC-767 de Boeing. « Nous allons proposer un ravitailleur ultramoderne et performant pour répondre à la décision du Pentagone d’encourager la compétition autour de cet investissement majeur pour le contribuable américain » a ainsi expliqué Ralph Crosby, le président de filiale nord-américaine du groupe européen.

Cela étant, les chances pour que le KC45 s’impose paraissent minces. En effet, même si cet appareil présente un meilleur rapport qualité/prix que son concurrent, il est le plus coûteux à l’achat. Or, le cahier des charges du Pentagone fait du prix du prochain ravitailleur de l’US Air Force un critère déterminant.

De plus, EADS devra franchir un autre obstacle : celui de trouver un partenaire outre-Atlantique avec qui le groupe fera son offre, qu’il devra remettre impérativement avant le 9 juillet. Cette étape est essentielle afin d’avoir accès aux technologies sensibles nécessaires pour « militariser » le KC-45 en fonction des normes américaines.

Récemment, des discussions ont été ouvertes avec le groupe L3com, un spécialiste de l’électronique de défense outre-Atlantique. Mais ces dernières ont tourné court : Boeing aurait discrétement fait pression pour empêcher un partenariat avec EADS.

Aussi, trouver un associé s’annonce compliqué pour le groupe européen, d’autant plus que certains parlementaires ne cachent pas leur hostilité au retour du KC45 dans la compétition, à l’image du démocrate Norm Dicks, dont le fief électoral dans l’Etat de Washington accueille les usines de Boeing. Or, il se trouve qu’il est aussi le président de la Commission du Budget au Congrès, ce qui lui vaut des soupçons de chercher à dissuader les entreprises potentiellement intéressées pour nouer un partenariat avec EADS. Cependant, plusieurs sous-traitants américains pourraient rejoindre le groupe européen, tels que General Electric, Goodrich, Hamilton Sundstrand ou encore Honeywell.

Mais, si les chances d’EADS de remporter le marché des avions ravitailleurs sont minces, cela ne veut pas dire qu’elles sont nulles. Par rapport à l’appareil de Boeing, le KC45 n’est pas un avion de papier et, selon Ralph Crosby, il « représente la seule véritable solution à même de répondre aux besoins de ravitaillement extrêmement pointus de l’USAF (US Air Force, ndlr) ».

« Qui plus est, cette solution est à moindre risque car déjà en service et en production. Ce point est essentiel car nos militaires méritent de recevoir la meilleure solution adpatée à leurs missions, et ce, au meilleur prix », a-t-il ajouté.

Du point de vue de Boeing, ce retour d’EADS dans la compétition est perçu comme une mauvaise nouvelle. Déjà, le constructeur américain n’avait pas apprécié la prolongation de 60 jours de l’appel d’offres du Pentagone. Là, ses dirigeants n’ont pas mis longtemps à tirer à boulet rouge sur le groupe européen, qualifié « d’entreprise lourdement subventionnée », « non américaine » et qui peut « accepter des niveaux de risques financiers qu’une entreprise commerciale comme Boeing ne peut se permettre de prendre ». Il ne faut pas perdre de vue qu’en toile de fond, se joue une autre compétition entre les deux géants de l’aéronautique, sur les terrains des longs-courriers cette fois, avec l’affaire des aides européennes consenties pour le développement de l’A350.

Quoi qu’il en soit, EADS ne cache pas que le marché militaire américain constitue une priorité, voire un enjeu stratégique. Il s’agit pour le construteur européen de moins dépendre des fluctuations du marché de l’aviation civile et d’installer une partie de sa production en zone dollar pour pallier au change défavorable avec l’euro.

Cela étant, et même si l’issue de cet appel d’offres lui est défavorable, EADS aura obtenu de la part du Pentagone le statut de « maître d’oeuvre » pour un programme majeur. Et en termes d’image, c’est déjà en soit une victoire pour le groupe européen

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