EADS renonce à l’appel d’offres portant sur les avions ravitailleurs de l’US Air Force

Le KC-45, développé conjointement par Airbus, filiale d’EADS, et le groupe d’aéronautique et de défense Northrop-Grumman sur la base de l’A330-MRTT ne volera pas sous les couleurs de l’US Air Force.

Comme l’on pouvait s’en douter, les deux partenaires ont décidé de ne pas prendre part à l’appel d’offres définitif lancé par le Pentagone pour remplacer la flotte des KC-135, les avions ravitailleurs des forces aériennes américaines.

Cette décision confirme la position affichée aussi bien par Northrop que par EADS en décembre dernier, selon laquelle le cahier des charges favorisait l’avionneur Boeing à leur détriment. Et, cerise sur le gâteau, le construteur américain aurait eu des informations sur le prix du KC-45, ce qui lui aurait permis d’affiner son offre.

Quoi qu’il en soit, c’est un énorme marché qui va échapper à EADS : entre 35 et 40 milliards de dollars pour la livraison de 179 appareils. Pourtant, en mars 2008, le tandem américano-européen avait remporté la mise face à Boeing.

Seulement voilà, ce dernier, qui avait obtenu une première fois ce contrat en 2002 avant son annulation par le Congrès pour « concussion », déposa un recours devant le Government Accountability Office (GAO, la cour des comptes américaine), laquelle lui avait donné raison, sur fond d’enjeux politiques, les Etats-Unis s’apprêtant alors à désigner un successeur à George W. Bush à la Maison Blanche.

Par rapport à l’avion ravitailleur dérivé du B-767 proposé par Boeing, le KC-45 est certes plus cher mais présente le meilleur rapport qualité-prix, notamment avec une plus large capacité d’emport de carburant et un rayon d’action supérieur. Ce sont ces aspects qui avaient fait pencher la balance en sa faveur il y a maintenant deux ans.

Sauf que désormais, le prix de chaque appareil est devenu le critère déterminant pour le choix du successeur du KC-135, d’autant plus que l’administration du président Obama (par ailleurs ancien élu de l’Illinois, Etat où est situé le siège social de Boeing) veut rationaliser les dépenses en matière d’armement.

Ce qu’a vite compris Boeing, en proposant un appareil censé creer « bien plus d’emplois » que le KC45 aux Etats-Unis et qui consommera 24% de carburant en moins que son concurrent, ce qui ferait une économie d’un dizaine de milliards de dollars sur 40 ans.

« Nous nous sommes engagés à lancer un processus de sélection intègre et nous ne pouvons pas nous permettre ce genre d’échecs, de discours corporatistes et de querelles d’entreprises qui ont freiné cet effort dans le passé » avait pourtant déclaré, en septembre 2009, à propos de ce nouvel appel d’offres, le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, lequel avait soutenu le KC45 en 2008 et qui, désormais, s’est rallié à la solution proposée par Boeing.

En fait de « sélection intègre », les dirigeants de Northrop et d’EADS parlent donc de « favoritisme » et de « fiction », qu’il ne servirait à rien d’entretenir en participant à l’appel d’offres.

Leur décision suscite des réactions au niveau politique. Ainsi, le député UMP Bernard Carayon, très au fait des questions d’intelligence économique, a ainsi parlé de « corruption de hauts fonctionnaires du Pentagone ». « On ne peut pas jouer avec des tricheurs » a-t-il affirmé par voie de communiqué, en déclarant attendre une « réponse forte » de l’Elysée. Et d’appeler les Européensà en tirer la leçon : « le système américain, en particulier sur les marchés stratégiques, se referme sur lui-même, et que l’Europe n’oppose à une préférence américaine systématique, que des protestations polies ».

« J’ai eu l’occasion de rappeler à mon ami Robert Gates que lorsqu’on est un pays défendant l’économie de marché, ça ne pouvait pas se faire à sens unique » avait déclaré Hervé Morin, le ministre français de la Défense, lors d’une visite de son homologue américain à Paris le mois dernier, en espérant qu’EADS et Northrop bénéficieraient de « conditions d’égale concurrence » face à Boeing lors de l’appel d’offres concernant les avions ravitailleurs de l’US Air Force.

D’où les regrets du Quai d’Orsay, exprimés ce 9 mars par son porte-parole, Bernard Valero. « Nous constatons avec une grande déception que l’appel d’offres émis par le Pentagone le 25 février conduit de facto les autorités américaines à un dialogue avec un fournisseur unique, au détriment d’une démarche compétitive garante de l’acquisition des meilleurs capacités au meilleur prix » a-t-il observé avant de prévenir que la France compte « procéder à l’examen de ce nouveau développement et de ses possibles implications ».

Des regrets, la Commission européenne en a aussi exprimés. « Il est extrêmement regrettable qu’un fournisseur potentiel important ne se sente pas en mesure de soumissionner pour un contrat de ce type. Ouvrir les marchés publics permet de garantir une meilleure concurrence et un meilleur rapport qualité-prix pour le contribuable » a fait valoir le commissaire européen Karel De Guch. L’exécutif européen a par ailleurs indiqué qu’il suivra de près cette affaire, en ayant fait remarquer que « la balance commerciale américaine de défense avec l’UE a toujours été nettement en faveur des Etats-Unis ».

Enfin, l’Allemagne, qui a des intérêts dans EADS, a eu une réaction plus mesurée en appelant les autorités américaines à revoir les modalités de l’appel d’offres. « Le gouvernement américain devrait revoir cela » a déclaré Peter Hintze, le responsable allemand en charge de l’aéronautique. « Je considère qu’il y a une petite chance que l’administration américaine reçoive le signal et reconsidère le processus » a-t-il ajouté. L’espoir fait vivre dit-on…

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