Programme nucléaire en Birmanie?

« Nous savons qu’il y a aussi des inquiétudes grandissantes quant à la coopération militaire entre la Corée du Nord et la Birmanie, que nous prenons très au sérieux » avait déclaré Hillary Clinton, la secrétaire d’Etat américaine, en juillet 2009, lors du Forum régional de l’ASEAN (Association des pays de l’Asie du Sud-Est).

En fait, cette préoccupation évoquée par la diplomatie américaine concerne d’éventuels liens entre les deux pays dans le domaine du nucléaire à vocation militaire. Seulement, cette collaboration reste difficile à prouver. Tout au plus a-t-on des faisceaux d’indices qui trahirait l’existence d’une telle collaboration.

Ainsi, l’affaire du cargo nord-coréen « Kang Nam I » en fait partie. Ce navire, dont la nature de la cargaison reste officiellement inconnue, avait été contraint de rebrousser chemin sous la contrainte d’un bâtiment de l’US Navy alors qu’il naviguait vers la Birmanie. Selon un expert des services de renseignement sud-coréens, qui s’était appuyé, à l’époque, sur des photographies prises par satellites, le Kang Nam I aurait en fait transporté du matériel nucléaire, ainsi que des missiles Scud.

Autre élément, l’information dévoilée par Radio Free Asia, un medium basé à Washington, selon laquelle de hauts responsables militaires birmans se seraient rendus en Corée du Nord dans la plus grande discrétion en 2007. Cette visite aurait eu pour objet la signature d’un pacte pour renforcer la coopération militaire entre les deux pays afin de moderniser l’armée birmane et de construire des installations souterraines.

Si le contenu de cette accord n’a pas été confirmé, il n’en reste pas moins que près de 800 tunnels ont été construits en Birmanie, avec l’aide nord-coréenne, entre 2003 et 2006. Ces constructions, réalisées dans le cadre de l’opération « Carapaces de Tortue », ont été photographiées et filmées, puis diffusées en juin 2009. Un journaliste qui a pu voir ces clichés, Bertil Lintner, a confirmé leur authenticité. Seulement voilà, on ignore à quoi peuvent bien servir ces tunnels, si ce n’est à abriter, peut-être, un programme d’armement nucléaire secret.

En plus de ces éléments, la Birmanie, signataire du Traité de non-prolifération (TNP) en 1992, a commandé auprès de la Russie un réacteur nucléaire de 10 mégawatts pour faire de la recherche. De plus, les affirmations de dissidents birmans nourrissent la suspicion. Selon eux, un chantier militaire appelé « Ayelar », situé à une quinzaine de kilomètres de la ville de Pyin Oo Lwin, abriterait les activités nucléaires birmanes

Enfin, un rapport publié le 28 janvier dernier par l’Institut pour la science et la sécurité internationale (ISIS), un think tank américain, résume tous ces soupçons et va encore plus loin en mettant en avant la nature d’équipements dits de « technologie duale », c’est à dire à la fois militaire et civile, acquis par la Birmanie. « Certains matériels pouvant être utilisés dans un programme nucléaire ou balistique ont été transférés vers des infrastructures industrielles isolées dont la finalité demeure inconnue » ont écrit les experts David Albright et Paul Brannan dans leur rapport. Selon eux, l’Allemagne, la Suisse et le Japon auraient ainsi vendu des systèmes électroniques de haute technologies sans connaître l’usage ultérieur qui en serait fait. Par ailleurs, l’ISIS évoque l’activité en Birmanie de la Namchongang Trading (NCG), une société nord-coréenne inscrite sur la liste noire du Conseil de sécurité de l’ONU. Or, il se trouve qu’elle est soupçonnée de jouer un rôle dans la prolifération, notamment en Syrie.

Cela étant, et avec tous ces indices, la junte birmane est-elle sur le point d’acquérir une arme nucléaire? Rien n’est moins sûr et les auteurs du rapport de l’ISIS ne sont pas affirmatifs sur ce dossier qu’ils jugent toutefois assez préoccupant pour mettre en garde les sociétés occidentales susceptibles d’être contactés par des responsables birmans ou des entreprises écrans nord-coréennes. « Les faits évoqués incitent les gouvernements et les entreprises à agir avec la plus extrême prudence dans leurs échanges avec la Birmanie » et de traiter d’éventuelles demandes « de la même manière que celles venants de l’Iran, du Pakistan ou de la Syrie », trois pays régulièrement cités pour leurs activités proliférantes.

Qu’il y ait une volonté de la part de la junte birmane de se procurer une arme nucléaire en collaboration avec la Corée du Nord est tout à fait plausible. Mais, pour le moment, Pyongyang ne dispose pas de la technologie permettant de fabriquer des têtes nucléaires pour armer des missiles. Faire des essais souterrains, comme cela a été le cas en mai 2009, est une chose. Concevoir l’arme en elle-même en est une autre.

Les propos tenus par Chan Tun, un ancien ambassadeur birman en Corée du Nord devenu un militant pour la démocratie, décrivent sans doute le mieux ce programme supposé de la junte. « Pour être clair : la Birmanie veut se procurer la technologie pour développer une bombe nucléaire » a-t-il déclaré, en 2009, au magazine thaïlandais Irrawaddy. « Cependant, je dois dire que c’est puéril de la part des généraux de rêver d’acquérir la technologie nucléaire, alors qu’ils n’arrivent même pas à procurer de l’électricité en permanence à la Birmanie » a-t-il nuancé.

Photo : Bâtiment du camp militaire situé à une dizaine de kilomètres de Pyin Oo Lwin

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