Le Pakistan, le maillon faible de la nouvelle stratégie en Afghanistan

« L’objectif des Etats-Unis en Afghanistan et au Pakistan est de démanteler, éradiquer et vaincre al-Qaïda et empêcher son retour dans les deux pays » a rappelé le chef du Pentagone, Robert Gates, lors d’une audition devant la Commission de la défense du Sénat, le 3 décembre. Et pour cela, « l’effort militaire international pour stabiliser l’Afghanistan est nécessaire pour atteindre cet objectif » a-t-il justifié.

« Les zones sous contrôle taliban pourraient rapidement devenir de nouveau sanctuaire pour al-Qaïda, ainsi que des bases pour les groupes militants menant une offensive au Pakistan » a encore averti Robert Gates. Voilà résumés les buts à atteindre.

Pour y arriver, le commandant de la Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF) et des troupes américaines déployées en Afghanistan, le général Stanley McChrystal, qui a inspiré la nouvelle approche exposée par Barack Obama le 1er décembre, s’est montré optimiste quant aux chances de succès. « Dans un an, je serai en mesure de vous dire si notre stratégie est vraiment efficace » a-t-il affirmé devant les députés afghans, auxquels il a promis « d’importants progrès en matière de sécurité  » d’ici à l’été prochain.

Seulement, le général McChrystal ne maîtrise pas tous les paramètres de l’équation afghane, dont la solution passe par Islamabad. D’ailleurs, le président Obama l’a rappelé, lors de son discours prononcé à West Point, le 1er décembre. « Notre succès en Afghanistan est inextricablement lié à notre partenariat avec le Pakistan ». En clair, il est impératif de pouvoir neutraliser les repaires des taliban afghans et ceux d’al-Qaïda dans les zones tribales pakistanaises, ce qui signifie qu’il faut s’attendre à ce que Washington mette davantage de pression sur le gouvernement pakistanais.

Et cela a déjà commencé avec les déclarations de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton lors d’une audition au Congrès et selon lesquelles elle a jugé « insuffisantes » les opérations militaires pakistanaises contre les taliban autochtones à Swat et au Sud-Waziristan. Ce que souhaite Washington, c’est qu’Islamabad s’attaque enfin au mouvement taleb afghan, qui a trouvé refuge sur son territoire.

On sait que le mollah Omar, son leader historique, est à Quetta, dans le Balouchistan et que réseau Haqqani, qui mène la vie dure aux forces internationales dans l’est de l’Afghanistan, a établi ses bases arrières dans le Nord-Waziristan, où il bénéficie de la protection du groupe de Gul Bahadur, lequel a signé un accord de paix avec les autorités pakistanaises. « Nous pensons que tous ces groupes sont liés d’une manière ou d’une autre à al-Qaïda » a fait valoir Hillary Clinton.

Depuis des années, le Pakistan joue un double jeu. C’est avec l’aide de ses services secrets – l’ISI – que les taliban afghan sont devenus les maîtres de Kaboul, avec les conséquences que l’on sait depuis les attentats du 11 septembre 2001.

Au moins deux motivations l’ont poussé dans cette politique : la sécurisation de l’Afghanistan était primordiale pour assurer la construction d’un pipeline amenant le pétrole de l’Asie centrale jusqu’à son port de Gwadar et en y installant un régime « ami », Islamabad pouvait s’assurer de disposer de profondeur stratégique face à l’Inde, son ennemi de toujours, ou de ne pas être pris en tenaille dans le cas où un gouvernement pro-indien aurait pris le dessus à Kaboul.

Tant que l’Inde sera perçue comme étant une menace au Pakistan, il n’y a guère de raison de voir Islamabad changer d’attitude. Et puis, il ne faut pas sous-estimer le sentiment anti-américain qui souffle sur l’opinion publique pakistanaise. Chaque pression de Washington risque ainsi d’être mal vécue et peut mettre en péril les institutions.

Exemple? la polémique déclenchée par la loi dite « Kerry-Lugar », instituant une aide non militaire de 7,5 milliards de dollars à Islamabad. Cette initiative aurait été certainement bien reçu partout ailleurs… Sauf pour les Pakistanais, pour lesquels les conditions mises au versement de cette somme (renforcement de la lutte antiterroriste et de la surveillance de l’arsenal nucléaire) constituent des ingérences insupportables.

Comme les frappes aériennes, réalisées dans les zones tribales par des drones américains opérant depuis des bases situées au Pakistan, dont les autorités d’Islamabad démentent l’existence pour ne pas se mettre à dos son opinion publique. Et selon le New York Times, la CIA aurait reçu de la Maison Blanche l’autorisation d’étendre au Balouchistan ses bombardements ciblés. « Cela n’a jamais fait partie de nos discussions » a répondu un porte-parole du ministère pakistanais des Affaires étrangères. Ce qui peut vouloir dure que la présence de ces drones sur son sol n’est pas gênante quand il s’agit d’éliminer des responsables du mouvement taleb pakistanais, comme cela a été le cas l’été dernier avec Baïtullah Mehsud, mais qu’elle le deviendrait si la cible serait des taliban afghans…

Preuve encore une fois que la bonne volonté d’Islamabad est encore loin d’être acquise : alors qu’il y a un consensus parmi les agences de renseignements occidentales pour dire que le chef d’al-Qaïda a trouvé refuge dans les zones tribales pakistanaises, le Premier ministre Yusuf Raza Gilani a déclaré le contraire. « Je doute que l’information que vous relayez soit correcte parce que je ne pense pas que Oussama ben Laden est au Pakistan » a-t-il affirmé lors d’une conférence de presse tenue à l’issue d’une rencontre avec Gordon Brown, son homologue britannique.

En attendant, et malgré les communiqués de victoires concernant l’offensive mené au Sud-Waziristan contre les positions du mouvement taleb pakistanais, le pays vit toujours au rythme des attentats-suicides : ce 4 décembre, une attaque a fait une quarantaine de morts dans une mosquée fréquentée par des militaires à Rawalpindi, la ville qui abrite le quartier général de l’armée pakistanaise.

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