Washington révise son bouclier antimissile

En août dernier, un quotidien polonais avançait que les Etats-Unis allaient renoncer à installer les éléments de leur bouclier antimissile en Europe de l’Est. « Information inexacte » avait alors répondu un porte-parole du département d’Etat à Washington.

Trois semaines plus tard, ce qui était « inexact » est devenu réalité. En effet, les Etats-Unis ont annoncé, le 17 septembre, l’abandon de leur projet d’installer des missiles intercepteurs en Pologne et un puissant radar en République tchèque. Ces éléments du bouclier antimissile devaient permettre de parer la menace des Etats « voyous », qui développent des programmes nucléaire et balistiques, comme l’Iran.

Pourtant, la menace iranienne n’a pas pour autant disparue. Elle a seulement été « réévaluée » par les services de renseignement américains. En effet, le secrétaire à la Défense, Robert Gates, a expliqué que les missiles développés par Téhéran ne représentent pas une menace « aussi immédiate qu’imaginée auparavant ». Et comme le président américain, Barack Obama, a toujours dit son intention de traiter les dangers actuels plutôt que d’anticiper sur ceux du futur, ce sont donc les engins balistiques de courte et de moyenne portée dont il s’agit de protéger les alliés des Etats-Unis.

« La meilleure façon d’améliorer de manière responsable notre sécurité et la sécurité de nos alliés est de déployer un système de défense antimissile qui réponde mieux aux menaces auxquelles nous sommes confrontés et qui utilise une technologie éprouvée et efficace en terme de coût » a déclaré le locataire de la Maison Blanche.

D’où la décision de réorganiser le bouclier antimissile, qui ne passera donc plus par la Pologne et la République tchèque. Ainsi , il reposera, dans un premier temps, sur au moins trois navires équipés du système de détection AEGIS (destroyers ou croiseurs) et de missiles intercepteurs SM-3. Deux bâtiments devraient être déployés en Mediterranée, pour protéger le flanc sud de l’Europe et même Israël, et un autre devrait croiser en mer du Nord. Ce dispositif rendra la défense antimissile plus « flexible », selon Robert Gates

A partir de 2015, des missiles SM-3 améliorés pourraient éventuellement être installés à terre et le secrétaire à la Défense a d’ailleurs précisé que des consultations sont en cours avec Varsovie et Prague à ce sujet.

D’un point de vue opérationnel, le nouveau dispositif présente plusieurs avantages. D’une part, il reviendra moins cher que le projet initial tout en étant plus fiable, les essais effectués auparavant n’ayant pas toujours été couronnés de succès.

« Nous avons maintenant l’opportunité de déployer de nouveaux capteurs et intercepteurs dans le nord et le sud de l’Europe, qui, à court terme, pourront fournir une protection antimissile contre des menaces plus immédiates provenant d’Iran ou d’ailleurs » a expliqué Robert Gates. « Nous pouvons à présent mettre en place les premiers éléments du système afin de protéger nos forces en Europe et nos alliés, avec, grosso modo, six ou sept années d’avance sur le plan précédent, ce qui est rendu pertinent par les retards multiples des processus de ratification tchèque et polonais » a-t-il ajouté.

Cette réorganisation du bouclier antimissile est aussi un signal positif envoyé en direction de Moscou. La Russie a toujours vu, dans le projet initial de Washington, une menace contre la crédibilité de sa dissuasion nucléaire en même temps qu’elle n’était pas emballée à l’idée de voir s’implanter des unités militaires américaines près de ses frontières, ou du moins dans son ancien pré-carré de l’époque soviétique. Même si le président Obama se défend d’un quelconque marchandage secret avec les Russes avec cette « nouvelle approche » de la défense antimissile, il n’en reste pas moins que les relations entre les Etats-Unis et la Russie vont se détendre.

« Nous estimons responsable l’approche du président des Etats-Unis pour réaliser nos accords. Je suis prêt à poursuivre le dialogue » a déclaré Dmitri Medvedev, le chef d’Etat russe. Les deux pays négocient par ailleurs le prochain traité Start, qui vise à limiter le nombre de têtes nucléaires dans leurs arseaux respectifs. Et puis Washington compte bien obtenir de Moscou un attitude plus constructive sur le dossier du nucléaire iranien.

En d’autres termes, en lâchant du lest sur le bouclier antimissile, Barack Obama espère de son homologue russe qu’il use de son influence pour tenter de persuader Téhéran de mettre un frein à ses ambitions nucléaires. Ce qui est loin d’être gagné : la Russie s’oppose toujours à l’adoption de nouvelles sanctions contre l’Iran, ce qui serait « une sérieuse erreur » pour Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères.

Cependant, la décision de revoir le système de défense antimissile ne présente pas que des avantages. En premier lieu, les pays de l’est, farouchement opposés à Moscou en raison du poids de l’histoire, ont de quoi douter des intentions américaines à leur sujet, même si en cas de menace sérieuse, l’article 5 de la charte de l’Otan leur garantit une assistance de la part des pays membres de l’Alliance atlantique. Mais à vrai dire, cela ne perturbe pas plus que cela le président Obama, qui sera d’ailleurs absent lors des célébrations commémorant le vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin.

La décision de la Maison Blanche « remet en question la sécurité et l’engagement diplomatique des Etats-Unis envers la Pologne et la République tchèque et risque de saper la perception du leadership américain en Europe de l’est » a fait valoir le sénateur John McCain, l’ancien rival d’Obama lors de l’élection présidentielle de l’an passé. « Sans ce bouclier, nous perdrions de facto une alliance stratégique avec Washington » a estimé Wiltold Waszczykowski, du conseil de la sécurité national de la présidence polonaise.

Enfin, « gouverner, c’est prévoir » dit l’adage. On se focalisant sur les menaces actuelles sans anticiper celles du futur, l’administration américaine prend un pari. Selon les experts de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), l’Iran aurait la capacité de fabriquer une bombe atomique. C’est en tous les cas ce que dit un rapport dont s’est procuré l’Associated Press. Sans oublier que Téhéran fait des progrès constant en matière de développement de vecteurs balistiques. En février de cette année, afin de mettre un satellite sur orbite, les Iraniens ont lancé une fusée Safir-2, probablement dérivée du missile Shahab-3, lui-même conçu à partir d’un modèle nord-coréen. Il est acquis que l’Iran dispose désormais la capacité de lancer un engin sur l’Europe. Rien ne dit que, dans quelques années, les Etats-Unis ne seront pas aussi à sa portée.

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