L’Amérique du Sud se lance dans la course aux armements

En juillet dernier, l’armée américaine a été contrainte de quitter la base de Manta, en Equateur, après le refus du président Correa d’en renouveler le bail. Cette installation militaire permettait alors aux Américains d’exercer une surveillance aérienne des embarcations des narcotrafiquants. Pour compenser cette perte, les Etats-Unis se sont naturellement tournés vers Bogota en négociant un accord de défense qui renforce le « Plan Colombie », adopté sous la présidence Clinton et qui a permis de financer une aide militaire et la formation des forces de sécurité colombiennes, alors aux prises avec la guérilla des Farc et des barons de la drogues.

Ainsi, en vertu du texte négocié, la Colombie est prête à autoriser les militaires américains à utiliser 7 de ses bases, dont 3 terrestres, 2 navales et 2 aériennes afin de l’aider à lutter contre « le terrorisme, le narcotrafic et d’autres délits ». Seulement, cette annonce est loin de faire l’unanimité parmi les pays sud-américains.

Si le Pérou n’y voit pas d’objection, le Brésil, qui partage une frontière avec la Colombie et qui reproche également aux navires de l’US Navy de s’intéresser d’un peu trop près à ses réserves pétrolières découvertes au large de ses côtes, a demandé des « garanties ». Il est notamment suivi en cela par le Chili, l’Argentine et l’Equateur. Quant à la Bolivie et surtout le Venezuela, ils s’opposent fermement à l’accord passé entre Washington et Bogota.

Malgré cette division, les pays d’Amérique latine se sont difficilement mis d’accord sur une déclaration communune, publiée à l’issue du dernier sommet de l’UNASUR (Union des nations sud-américaines), le 28 août dernier, à Bariloche, en Argentine, et selon laquelle « la présence des forces militaires étrangères ne doit pas menacer la souveraineté et l’intégrité d’un pays sud-américain ».

« La Colombie peut penser qu’elle est dans son droit quand elle cède à des forces extrarégionales l’utilisation de ses bases militaires, mais il semble également évident qu’elle devra garantir que leurs activités soit strictement limitée à ses problèmes de politique intérieure » avait déjà affirmé Nilda Garré, ministre de la Défense dans le gouvernement argentin.

Pourtant, de telles réserves ne s’étaient pas exprimées lorsque Hugo Chavez, le président vénézuélien proposa des terrains à la Russie pour servir de base d’escale à ses bombardiers. « Je dis au président Medvedev que chaque fois que l’aviation russe aura besoin de faire escale au Vénézuéla pour réaliser ses plans stratégiques, le Vénézuéla sera prêt comme il l’a déjà été il y a peu » avait-il ainsi déclaré lors de son émission télévisée « Alo, Presidente » en mars dernier. En septembre 2008, des avions russes s’étaient d’ailleurs déjà posés sur un aérodrome vénézuélien.

Depuis quelques années, les pays d’Amérique du Sud ont augmenté de manière significative leurs dépenses militaires. C’est ainsi que Caracas a doublé les siennes en cinq ans. Récemment, le pays s’est doté, auprès de la Russie, d’une flotte de 24 avions de combat Sukhoï, de 50 hélicoptères de combat et de 100.000 fusils d’assaut Kalachnikov. Mais cet effort d’armement ne s’arrête pas là avec l’annonce de l’acquisition, cette semaine, de 92 chars T-72, des lance-roquettes multiples Smerch et des systèmes de défense anti-aérienne de type S-300 V, le tout pour plus de 2 milliards de dollars.

Selon Hugo Chavez, ces achats d’armes se justifient par la nécessité de protéger les réserves de pétrole et de gaz du pays, qui constituent sa principale ressource de devises. Mais nul doute que son regard se porte aussi sur la Colombie voisine, vue comme une menace, ou du moins présentée comme telle. D’ailleurs, l’accord de défense américano-colombien a été qualifié de « déclaration de guerre contre la révolution » qu’il a initiée dans son pays et qu’il espère voire se diffuser sur le continent.

Au petit jeu du « qui menace qui? », la palme revient néanmoins au Vénézuéla. En mars 2008, Hugo Chavez avait mobilisé ses troupes le long de la frontière, après, à la charge de Bogota, une légère incursion des forces colombiennes en Equateur lors de la traque du chef des Farc, la guérilla marxiste que soutient d’ailleurs Caracas. Mais quoiqu’il en soit, l’armée vénézuélienne, de mieux en mieux équipée, dispose désormais de capacités offensives que n’ont pas ses voisins. Mais Hugo Chavez a répété qu’il s’agit avant tout de se protéger et non d’attaquer qui que ce soit.

Cela étant, cette hausse des dépenses militaires vénézuéliennes inquiète Washington, qui dit craindre une course aux armements en Amérique du Sud. « Nous sommes inquiets, de façon générale, de l’objectif avoué du Vénézuéla d’accroître son arsenal militaire, ce qui pose à notre avis un grave défi à la stabilité du continent américain » a ainsi déclaré Ian Kelly, le porte-parole du département d’Etat américain. « Nous redoutons une course aux armements dans la région » a-t-il ajouté, tout en faisant remarquer que les achats d’armes par Caracas « dépassent celles des autres pays d’Amérique latine ».

Cependant, et même si elles ne représentent que 3% au niveau mondial, les dépenses militaires sur ce continent se sont élevées à 40 milliards de dollars en 2008, ce qui représente une hausse de 36% en cinq ans. Même si, globalement, les tensions interétatiques se sont calmées (le Brésil et l’Argentine ne se menacent plus, les différends sont aplanis entre le Chili et la Bolivie), il n’en reste pas moins que plusieurs pays présentent des retards en équipement qu’il leur faut rattraper, quand ils ne craignent pas de faire face à une menace intérieure, comme la Colombie avec les Farc ou encore comme le Mexique, aux prises avec une guerre des gangs et une criminalité galopante. Sans oublier la nécessité, pour d’autres capitales sud-américaines, de protéger des gisements miniers et de réserves pétrolières, susceptibles d’attiser les convoitises. Ce dernier aspect explique en partie la volonté de Brasila de renforcer considérablement son potentiel militaire avec l’achat de sous-marins et d’avions de combat, mais aussi celle de Caracas.

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