Des missiles à bord de l’Arctic Sea?

Quand un cargo, qui doit transporter du bois en Algérie, se fait attaquer deux fois dans les eaux européennes avant de disparaître pendant quelques jours,  avant d’être finalement retrouvé par une marine russe qui a mis les moyens pour être la première à mettre la main dessus, il n’est guère étonnant que des rumeurs concernant la nature exacte de sa cargaison se font de plus en plus persistantes.

Qui plus est, les déclarations contradictoires faites par Moscou d’un côté et, de l’autre, par la Commission européenne et les polices scandinaves ont de quoi épaissir davantage le mystère et alimenter les hypothèses les plus diverses au sujet de l’Arctic Sea, ce navire à l’équipage russe et battant pavillon russe.

Attaqué par deux fois, l’une près des côtes suédoises, par un commando de 10 hommes, l’autre au large du Portugal par 8 pirates, du moins présentés comme tels, l’Arctic Sea et sa cargaison de bois d’une valeur estimée entre 920.000 et 1,5 million d’euros ont été récupérés vers le Cap-Vert par une frégate russe. Pour quelles raisons obscures ce bateau, dont l’armateur est une société finlandaise, la Solchart, enregistrée en juin dernier par des ressortissants russes, a pu éveiller l’intérêt d’autant de monde? Et pourquoi monter au moins deux opérations, toujours délicates, pour un simple chargement qui n’a pas de valeur particulière justifiant autant d’énergie?

A cela s’ajoute le sort de Mikhaïl Voïtenko, le rédacteur en chef de Sovfrakht, une publication russe spécialisée dans les affaires maritimes. Ce journaliste, qui a révélé la disparition du cargo, alors attendu le 4 août dernier au port de Bejaïa en Algérie, a été contraint de fuir, le 2 septembre, son pays pour se réfugier en Turquie. Signe de l’importance du lièvre qu’il avait levé, Voïtenko a affirmé s’être senti menacé par « des gens travaillant dans l’intérêt de l’Etat ». « Ils m’ont dit qu’il y avait des gens très sérieux derrière cette histoire, qu’ils sont furieux et qu’ils veulent se venger » a-t-il également déclaré. Et, toujours selon lui, son site Internet a subi une attaque en règle.

La presse russe ne n’est pourtant pas privée d’enquêter sur les dessous de la disparition de l’Arctic Sea. Ainsi, dès le 21 août, le journal Novaya Gazeta, celui où travaillait la journaliste assassinée Anna Politkovskaïa, a allumé la première mèche en affirmant que le détournement du cargo était en fait une opération du Mossad, le service de rensignement extérieur israélien. Le Motif? Le navire transportait non pas du bois mais des missiles balistiques X-55, d’une portée supérieure à 3.000 km et qui a fait, par le passé, l’objet d’une vente illicite à la Chine et l’Iran, via l’Ukraine. Et justement, le chargement de l’Arctic Sea aurait été, une fois encore, destiné au régime iranien.

Reste que le journal moscovite n’est pas très clair quant à l’intervention du Mossad : la date de l’opération donnée correspond à celle du 24 juillet, donc de la première attaque et celle réalisée plus tard au large du Portugal n’est pas mentionnée. Pour le reste, l’histoire des « pirates » ne serait qu’un prétexte trouvé par Moscou pour cacher la vérité et par conséquent sa gêne. Hasard du calendrier ou pas, il se trouve que le président israélien, Shimon Peres, a effectué une visite officielle en Russie quelques jours après la prise du cargo par la marine russe.

Seulement, l’histoire des missiles a une nouvelle fois rebondi, le 4 septembre, avec la publication d’un article dans les colonnes du journal autrichien Salzburger Nachrichten. Cette fois, il n’est plus question de X-55 mais de missiles sol-air S-300. Selon le quotidien, qui cite des « sources israéliennes bien informées et ayant de bons contactss avec les services secrets occidentaux », ces engins auraient été vendu aux Iraniens par un groupe mafieux ayant des rapports avec des militaires russes. Le chargement de la cargaison aurait été effectué dans le port de Kaliningrad, lors de l’immobilisation de l’Arctic Sea à des fins de maintenance.

Ce serait ensuite un service de renseignement occidental, qui, ayant eu vent de cette affaire, aurait alerté le FSB russe et précipité la décision d’une intervention contre le bateau. « Cela explique pourquoi la Russie a mis tant de temps, après qu’il été ‘détourné par des pirates’, à intercepter ce cargo au large du Cap Vert alors que la position de l’embarcation était constamment connue, selon l’Otan (ndlr: et même selon l’Autorité Maritime Maltaise) » estime le correspondant du journal autrichien à Jerusalem. Fait troublant également relevé : l’envoi de 3 avions militaires Iliouchine 76, pouvant transporter 40 tonnes de charge, pour ramener les 14 membres de l’équipage et les 8 « pirates ». Cela donne en effet à penser que les appareils ont rapatrié en Russie des choses beaucoup plus lourdes…

La version que le Sunday Times a livré quelques jours plus tard est sensiblement la même que celle du Salzburger Nachrichten. A la différence près que, selon le journal britannique, ce sont les services secrets israéliens qui auraient alerté leurs homologues russes sur la véritable nature de la cargaison de l’Arctic Sea, après avoir recruté des hommes de mains pour en prendre le contrôle et forcer ainsi Moscou à intervenir. Pour Israël, très au fait des livraisons d’armes à Téhéran, il est hors de question que l’Iran puisse disposer à terme de missiles anti-aérien S300, d’autant plus qu’on lui prête l’intention de bombarder les sites atomiques iraniens dans le cas d’un enlisement des négociations portant sur le programme nucléaire défendu par les mollahs.

Face à ces révélations, la Russie a nié la présence d’armements dans les cales de l’Arctic Sea, tout en promettant, selon le mot du ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, une enquête « transparente ». Mieux même : selon le parquet russe, les inspecteurs chargés d’examiner le cargo n’auraient trouvé que du « bois de sciage » et « aucune autre marchandise que qui a été déclarée n’est apparue jusqu’à maintenant ». Le bateau fera l’objet d’une nouvelle inspection, dès son arrivée au port de Novorossiisk, sur la mer Noire.

Pourtant, à la fin août, le chef des inspecteurs du parquet général russe, Alexander Bastrykin, n’excluait pas « la possibilité que l’Arctic Sea n’ait transporté que du bois », contredisant déjà, mais du bout des lèvres, les autorités politiques russes. Mais un détournement de bois de sciage n’explique tout de même pas les moyens déployés pour les recherches du bateau piraté (impliquant à la fois la marine russe mais aussi celles de pays membres de l’Otan), ni même la mise au secret des membres de l’équipage une fois arrivés à Moscou.

Alors, sans doute que l’Arctic Sea ne transportait effectivement pas de missiles S300, comme il a été dit. En fait, l’engin seul ne sert pas à grand chose, à moins de disposer déjà du radar et du camion de lancement qui font parties de cet équipement de défense anti-aérienne. Peut-être était-ce des missiles X55 ou encore du matériel nucléaire, comme l’a suggéré la journaliste d’opposition Yulia Latynina, dans les colonnes du Moscow Times. Une thèse qui pourrait être accréditée par la mesure de radioactivité faite par un pompier finlandais, ce qui avait valu un communiqué peu amène de l’Autorité finlandaise de sécurité nucléaire (Stuk) au sujet de ce contrôle, qualifié « d’idée bête de quelqu’un qui n’a aucune expertise dans ce domaine ». Et pour le Stuk, l’Arctic Sea n’était alors « qu’un simple navire avec un chargement de bois ».

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