L’Ingouchie en proie aux violences

Bien que la Russie a mis un terme à ses opérations militaires en Tchétchénie, après dix ans de conflits, il n’en demeure pas moins que la situation dans le Caucase du Nord reste instable. Daguestan, Ossétie du Nord, Kabardino-Balkarie, Karatchaïevo-Tcherkessie, Ingouchie, Tchétchènie et Adyguee.. Ces territoires, qui font penser aux albums de Tintin, sont des républiques autonomes qui appartiennent à la Fédération de Russie.

L’Ingouchie, passée dans le giron russe en 1810, a connu une histoire mouvementée, qui explique en partie sa situation compliquée d’aujoud’hui. En fait, le destin des Tchétchènes et des Ingouches a été commun dès les années 1920, les deux entités formant la république de Tchétchéno-Ingouchie, puis, à partir de 1934, la république socialiste soviétique de Tchétchéno-Ingouchie.

Lors de la Seconde Guerre Mondiale, et en raison de leur attitude face à l’envahisseur nazi (opération Edelweiss en 1942), les Ingouches et les Tchétchènes sont déportés sur l’ordre de Staline. Il faut attendre 1957 pour que la république Tchétchéno-Ingouche soit recréée. Seulement, une partie du territoire de l’Ingouchie a été attribuée à l’Ossétie du Nord. Ce différend alimentera un conflit, dans les années 1990, qui opposera les Ingouches et les Nord-Ossétes. L’armée russe interviendra en faveur des seconds pour y mettre bon ordre.

En 1991, alors que l’Union soviétique se désagrège, la république de Tchétchéno-Ingouchie proclame son indépendance. Un an plus tard, l’union imposée de ces deux territoires vole en éclat à son tour : de là naissent les républiques autonomes de Tchétchénie et d’Ingouchie.

Depuis, ce territoire est en proie à l’instabilité et au terrorisme, en partie à cause du conflit tchétchéne, qui a inspiré des groupes séparatistes, quand ce ne sont pas les rebelles venus de Tchétchénie qui sèment la terreur, comme en 2004, où 94 personnes avaient été tuées dans le centre de Nazran lors d’une attaque dont la responsabilité leur en avait été attribuée. D’une manière générale, cette république autonome doit faire face à une rébellion qui présente plusieurs visages. Est-elle islamiste? Criminelle? Séparatiste? voire les trois à la fois?

Cela étant, la violence ne cesse de s’intensifier depuis ces dernières semaines. Le président ingouche, Iounous-bek Evkourov, ancien adjoint au chef du Renseignement de la Région militaire de la Volga et de l’Oural (GRU), était victime d’un attentat à la voiture piégée en juin. Nommé par le chef de l’Etat russe, Dmitri Medvedev, en remplacement de Mourat Ziazkov, en poste depuis 2002, pour mettre un terme à la corruption qui sévit en Ingouchie, Iounous-bek Evkourov fut grièvement blessé. Et il avait mis au premier rang de ses priorités la lutte contre les clans mafieux, ce qui pourrait expliquer cet attentat si ce dernier n’avait pas été revendiqué par un groupuscule islamiste.

Le 12 août dernier, le ministre de la Construction, Rouslan Amerkhanov, a été abattu à bout portant par deux hommes qui avaient préalablement réussi à pénétrer dans son ministère. Ce dirigeant voulait, lui aussi, s’attaquer à la corruption endémique qui ronge l’Ingouchie.

Mais depuis maintenant un an, les groupes rebelles islamistes ont intensifié leurs actions, qui ciblent en priorité les forces de sécurité russes. En témoigne le dernier attentat commis le 17 août dernier. Cette attaque, perpétrée avec une camionnette bourrée d’environ 400 kg de TNT, a détruit un bâtiment de la police, faisant « plus de 20 morts » et une centaine de blessés, selon un bilan donné par le comité d’enquête du parquet russe. Le président Medvedev a immédiatement limogé le ministre ingouche de l’Interieur, Rouslan Maïriev, ayant considéré que « cet acte terroriste aurait pu être déjoué ».

Ces combattants islamistes ont à leur tête un certain Doku Umarov, alias Abou Osman, qui se présente comme étant l’émir du Caucase du Nord. Originaire de Tchétchénie et hostile à la fois au nationaliste tchétchéne Akmed Zakaïev, en exil à Londres, et au pro-russe Kadyrov, a promis « une année 2009 d’offensive ». Le nombre de djihadistes est estimé à quelques centaines mais les abus commis par les forces de sécurité russes à l’encontre de la population ingouche serait de nature à inciter les jeunes à venir gonfler leurs rangs.

La politique de Moscou dans cette république autonome ne fait pas dans la demie-mesure et les militants des droits de l’homme accusent le ministère russe de l’Intérieur et le FSB, le successeur du KGB, d’employer des méthodes pour le moins discutablea. A cela s’ajoute les meurtres d’opposants politiques et de journalistes, qui n’ont rien à voir avec l’islamisme. Le 15 juillet dernier, c’est le corps sans vie du reporter Natalia Estermirova, une amie d’Anna Politkovskaïa, assassinée dans des circonstances qui restent à éclaicir, a été retrouvé. Un an plus tôt, en août 2008, c’est l’animateur de l’unique site Internet d’opposition politique, Mogamed Evloïev, qui était tué lors de son transfert vers un poste de police.

Sur un plan économique, la situation de l’Ingouchie n’est pourtant pas des plus enviable. Le taux de chômage y avoisine les 50% et le territoire doit en outre gérer l’afflux de réfugiés venus de la Tchétchénie voisine. Seulement, il se trouve que cette république dispose de réserves de pétrole, exploitées notamment près de la ville de Malgobek, ce qui explique l’importance de cette région pour les Russes, qui y ont envoyé 2.500 soldats supplémentaires et qui ont placé l’Ingouchie sous le régime des opérations anti-terroristes.

Photo : Doku Umarov, « l’émir » des djihadistes du Nord-Caucase

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]