Le coût des opex radiographié

Pour l’année 2008, le coût des opérations militaires extérieures de la France a été estimé à 852 millions d’euros (830 millions hors gendarmerie). Or, pour la Commission des Finances de l’Assemblée nationale, qui vient de publier un rapport, ce montant est largement sous-évalué. Par ailleurs, le budget qui y est consacré est en constante augmentation.

Ainsi, la Commission des Finances a noté que les coûts des opex ont grimpé de 250 millions entre 2006 et 2008, à effectifs déployés quasi constant, ce qui représente une hausse de plus de 40%. Cette tendance ne risque pas de s’inverser en raison de l’engagement de la France en Afghanistan. Les dépenses liées à ce théâtre d’opérations devraient s’élever à 330 millions d’euros, soit une augmentation de 40% par rapport à 2008 (236 millions d’euros).

Plusieurs facteurs expliquent cette tendance, et certaines sont inhérentes à l’approche française des interventions militaires extérieures. Tout d’abord, la France participe actuellement à cinq opérations majeures, ce que d’autres pays se gardent bien de faire, préférant plutôt se concentrer sur un nombre réduit de théâtres, même si le contingent qui y est déployé est important. La Grande-Bretagne suit par exemple cette logique. « Cette dispersion génère un coût financier important en matière de logistique, de transport, de services de santé, d’états-majors » note la Commission des Finances. Et la dépense est bien évidemment plus importante quand il s’agit d’intervenir dans des pays enclavés comme le sont l’Afghanistan et le Tchad.

Mais ce qui revient le plus cher reste encore les rémunérations (solde, indemnité pour charge militaire, indemnité liée à l’éloignement) et les cotisations sociales versées aux militaires en mission à l’étranger. Cela représente 50% du coût des opérations extérieures.

A cela s’ajoute d’autres dépenses, liées à la culture de l’armée française lors de ses interventions. Par exemple, l’aide médicale et les actions civilo-militaires sont autant de façon de s’assurer du soutien d’une partie de la population autochtone. Le rapport cite le cas du Liban, où le contingent français a permis de rétablir des réseaux d’eau et d’électricité. Globalement, le coût des prestations médicales réalisées au profit des civils est de l’ordre de 4,5 millions d’euros par an.

Cependant, l’armée française peut aussi se montrer (très) généreuse à l’égard de ses homologues avec lesquelles elle prend part à une intervention militaire. Ainsi, depuis 2000, le contingent marocain stationné à Novo Selo, au Kosovo, est logé et nourri par la France, ce qui représente une somme de 21,3 millions cumulés.

Au Tchad, ce sont les 60 soldats albanais qui ont bénéficié des largesses françaises, avec en plus un prêt de véhicules pour permettre à ces derniers de mener à bien la mission pour laquelle ils étaient venus. Si l’on compte les 350 m3 de carburant donnés aux Ukrainiens et divers autres dons ici ou là, l’aide française aux contingents étrangers sur le théâtre tchadien a été évaluée à 12,68 millions d’euros en 2008. Il n’y aurait sans doute rien à y redire si ce n’est que les autres nations engagées dans des opérations identiques rendent difficilement la pareille.

Et cela, c’est sans compter sur les « cadeaux » faits à l’ONU, et plus précisément à la Minurcat, qui a pris le relai de l’Eufor pour venir en aide aux réfugiés du Darfour. Outre les loyers dérisoires que les Nations unies vont verser pour occuper les camps construits par la force européenne, l’armée française lui a cédé pour un « prix dérisoire » les données cartographiques que ses géographes avaient établies…

Par ailleurs, la Commission des Finances a également abordé le problème récurrent de la sous-évaluation du coût des opérations extérieures. Ces surcoûts, non pris en compte initialement, et qu’il faut bien payer, sont « le plus souvent compensés en cours d’exercice par l’annulation de crédits d’équipements parfois partiellement restaurés à l’occasion de la loi de finances rectificative de fin d’exercice » note le document. C’est ce qui explique le respect « approximatif » des précédents Loi de programmation militaire. Selon l’état-major des armées, ce sont 3 milliards d’euros de crédit d’équipement qui se sont ainsi évaporés depuis 1998, soit, comme le faire remarque le rapport, l’équivalent « de trois sous-marins nucléaires d’attaque, d’un second porte-avions, d’un millier de VBCI ou encore d’une quarantaine de Rafale ».

Une des explications de cette sous-évaluation chronique est une bisbille entre le ministère de la Défense et celui du budget. Les surcoûts sont causés par une utilisation plus importante des munitions, notamment sur les théâtres difficiles comme l’Afghanistan, les transports (25 millions d’euros), les dépenses en infrastructures pour la protection des forces (15 millions) et surtout par l’usure prématurée des matériels s’usent plus vite qu’en temps normal. Et c’est là que le bât blesse.

Cela vaut en effet pour les équipements du soldat en mission, qui porte ses effets militaires en permanence et qui est parfois, confirme le rapport, obligé d’acheter « sur ses propres deniers » du matériel qui ne lui est pas fourni, même si cela n’est pas autorisé. Mais cela vaut aussi et surtout pour les véhicules, sachant qu’un véhicule de l’avant-blindé (VAB) roule 3.000 kilomètres par mois en opération, ce qui trois fois supérieur à la distance qu’il parcourt en métropole. Au Liban, les semelles des chenilles des blindés s’usent à une candence telle qu’il faut les changer toutes les trois semaines. Pour les AMX 10P qui y sont déployés, il faut en prévoir 5.500 semelles chaque année. Et c’est sans compter sur les autres pièces mécaniques, davantage sollicités, qu’il faut remplacer.

Alors que les Britanniques prennent en compte l’usure des matériels ainsi que ceux acquis pour une opération particulière, le ministère français du budget ne considère que l’aspect des rémunérations et des frais de fonctionnement et exclut de facto toutes les dépenses liées aux matériels puisque ces derniers sont censés être réutilisés ultérieurement. Exit donc l’évalution du coût de l’usure ou de la perte de véhicules blindés en opération extérieure, d’où une partie du manque de financement des engements militaires français en cours d’exercice.

Enfin, si les opérations extérieures coûtent cher, sans doute pourraient-elles rapporter in fine à l’économie nationale. C’est en tous les cas la question posée par le rapport de la Commission des finances. Les rapporteurs déplorent en effet « le faible engagement des entreprises françaises dans les opérations de reconstructions et de soutien » aux forces armées, alors que leurs concurrentes étrangères, notamment anglo-saxonnes et voire allemandes, ne se privent pas pour y prendre des marchés. Selon le document, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et même la Turquie y envoient même des réservistes employés par des sociétés soucieuses de trouver de nouveaux débouchés dans les pays en voie de stabilisation pour y prospecter les marchés potentiels, le plus souvent financés par des fonds de l’ONU ou de l’Union européenne.

Cependant, il y a deux raisons pour expliquer cette absence des firmes hexagonales. La première tient à la philosophie française en matière de stabilisation : il vaut sans doute mieux privilégier les entreprises locales afin de remobiliser le tissu économique du pays en crise. La seconde est liée à une certaine frilosité des sociétés françaises, qui ne se montrent pas forcément intéressées par des régions dites instables ou peu sûres, même si il s’agit d’un pays comme le Tchad avec lequel Paris est particulièrement lié.

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