Révélations sur le meurtre des moines de Tibehirine

Dans quelles circonstances ont été tués les sept moines trappistes du monastère de Tibehirine, situé dans la région de Medea, en Algérie? On sait que les religieux ont été enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 et que la France ademandé aux autorités algériennes, alors aux prises avec une guerre civile menée par des factions islamistes appartenant au GIA (Groupe islamiste armé), de toute mettre en oeuvre pour les retrouver tout en évitant de monter une opération militaire d’envergure qui aurait mis leur vie en danger.

Ce qui peut être considéré comme acquis est la nature des ravisseurs. Le communiqué n°43 de l’émir du GIA Djamel Zitouni, daté du 18 avril 1996 et publié neuf jours plus tard en Egypte par le journal El Hayat, revendique l’enlèvement des sept moines et pose un marché : Paris doit obtenir d’Alger la libération d’Abdelhak Layada, un dirigeant du mouvement islamiste, extradé du Maroc et détenu en Algérie. Le texte s’accompagne d’une Fatwah selon laquelle les religieux sont considérés comme des prisonniers de guerre et que, par conséquent, le traitement qui peut leur être appliqué est l’esclavage, l’échange ou la mort. En clair, si Layada n’est pas libéré, les moines seront égorgés.

Autre élément, le dépôt devant l’ambassade de France à Alger d’un paquet contenant un enregistrement des religieux daté du 20 avril. Aucun élément n’a pu permettre d’identifier celui qui a joué les messagers. Cela étant, le 21 mai, un appel passé à la radio Medi1 annonce l’exécution des moines, conformément à ce qui avait été annoncé par la Fatwah publiée un mois plus tôt. Leurs « restes » sont retrouvés le 30 mai, en bordure d’une route dans les environs de Medea : les religieux auraient été décapités (en fait, seules leurs têtes ont été retrouvées).

A partir de là, plusieurs versions de ce drame ont vu le jour, en raison des zones d’ombres qui l’entourent. Selon la version donnée par les autorités algériennes, les moines ont été enlevés et exécutés par un groupe islamiste, suivant ainsi leur stratégie de guerre totale contre le pouvoir à Alger. Elle a été confirmée par un membre du GIA, arrêté en 2001, qui a précisé que les dépouilles des moines seraient cachées dans la Mitidja, près l’Alger et aussi par Ali Benhadjar, un ancien député du Front islamique du salut (FIS) et émir du GIA dans la région de Tibehirine. Repenti en 2000, ce dernier a assuré que les moines ont été tués par les islamistes qui voulaient se débarrasser d’eux pour échapper à une opération de l’armée algérienne. Détail macabre : ils auraient ainsi décapité leurs otages pour emporter leur tête avec eux.

Cette piste était également suivie par le journaliste français Didier Contant, retrouvé mort dans des circonstances troubles en février 2004, alors qu’il revenait de faire une enquête en Algérie sur la mort des moines de Tibehirine et dont les conclusions prenaient le contrepied d’une autre thèse, née des déclarations d’un certain Abdelkader Tigha, un sous-officier déserteur de l’armée algérienne. Selon ce dernier, ce serait les services secrets algérien qui auraient tiré les ficelles de cette affaire avec l’intention de discréditer le GIA sur la scène internationale.

Enfin, une autre version est apparue il y a maintenant un peu plus de trois ans. A l’époque, on apprenait qu’elle s’appuyait sur le témoignage d’un colonel français, attaché militaire en poste à Alger. Cet officier, qui est le général François Buchwalter, a été entendu le 25 juin dernier par le juge d’instruction antiterroriste Marc Trévidic, en charge du dossier, à la demande du père Armand Veilleux, le numéro deux de l’ordre des Cisterciens.

Le général Buchwalter, âgé de 65 ans, a fait une partie de sa carrière au sein du SDECE, devenu DGSE (Direction générale des services extérieurs) avant d’occuper divers postes en ambassade (Turquie et Algérie). Ainsi, dans les cadres des fonctions qu’il a occupées à Alger de 1995 à 1998, le général a recueilli les « confidences » faites par un ami algérien, rencontré lors de sa scolarité à Saint-Cyr, et dont le frère commandait une escadrille d’hélicoptères de fabrication russe de type Mi7, Mi17 et Mi24.

Selon l’audition de l’officier français, dont la transcription a pu être consultée par l’Associated Press, les moines de Tibehirine auraient été tué lors de l’attaque d’un campement entre Blida et Medea, dans l’Atlas. « Cette zone était vidée, ça ne pouvait être qu’un groupe armé. Ils ont tiré sur le bivouac (…) Une fois posés, ils ont découvert qu’ils avaient tiré notamment sur les moines. Les corps des moines étaient criblés de balles. Ils ont prévenu par radio le CTRI (ndlr: Centre territorial de recherche et d’investigation ») », a-t-il expliqué. Cela étant, l’attitude de l’équipage de l’hélicoptère est inhabituelle car se poser sur une zone qui n’est pas sécurisée témoigne d’une grande témérité, à moins d’être certain de l’absence de tout danger.

Le général Buchwalter a également répété ce qu’un médecin attaché à l’ambassade de France lui a dit au moment de l’affaire : seules les têtes des moines avaient été retrouvées et qu’elles avaient « séjourné longtemps dans la terre ». Bien évidemment, l’absence des corps des religieux corroberait ainsi le témoignage rapporté par l’ancien attaché militaire et indiquerait qu’ils aient été mutilés pour cacher la vérité.

Par ailleurs, l’officier français a toujours rendu compte des révélations qui lui avaient été faites au « ministère de la Défense, à l’état-major des armées et à l’ambassadeur ». D’après lui, ses rapports n’ont pas donné lieu à des suites. « Ils ont observé le black-out demandé par l’ambassadeur » a-t-il expliqué. Ministre des Affaires étrangères en 1996, Hervé de Charette a indiqué ce 7 juillet, ne pas avoir été informé d’une éventuelle « bavure » de l’armée algérienne et qualifié le témoignage du général Buchwalter « d’énième version ». « Moi, je m’en tiens à ce que je sais, à ce que j’ai pu voir, et pour le reste malheureusement ça restera dans les mystères de l’Histoire » a-t-il déclaré.

Aux moment de l’affaire de l’assassinat des moines de Tibehirine, il ne faut pas perdre de vue que la France était la cible d’une vague attentats terroristes, amorcée dès décembre 1994 par la prise d’otage à bord d’un Airbus A320 d’Air France et terminée le 3 décembre 1996 avec l’attentat de la station de RER de Port-Royal à Paris (4 morts, 170 blessés).

Alors, dans un contexte où il ne fallait pas accabler les autorités algériennes pour pouvoir bénéficier de leurs renseignements sur les réseaux du GIA, est ce que Paris a eu connaissance du sort des religieux? C’est ce qu’a affirmé le Frère Philippe, moine trappiste de l’abbaye cistercienne de Tamié. « Depuis le début, la France officielle savait » a-t-il déclaré à l’Express. « Et croyez-moi, je tiens ça de quelqu’un de très haut placé » a-t-il ajouté. Et le juge antiterroriste Alain Marsaud, ancien député UMP de la Haute-Vienne, ne dit pas autre chose.

Quoi qu’il en soit, le témoignage du général Buchwalter « apporte un élément nouveau pour lequel de nouveaux éléments d’investigation supplémentaires auront lieu » a indiqué Michèle Alliot-Marie, le Garde des Sceaux. Et le président Sarkozy, qui a d’ailleurs cité le testatement spirituel du prieur du monastère, Christian de Chergé, au soir de sa victoire à l’élection présidentielle de 2007, a demandé « la vérité » au pouvoir algérien et a souhaité la levée du secret défense pour les documents ayant un rapport avec l’assassinat des sept moines.

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