Kirghizstan : US Go Home!

Actuellement, près de 80% des approvisonnements destinés aux forces de l’Otan et à celles de l’opération Enduring Freedom déployées en Afghanistan transitent par le Pakistan. Seulement, les taliban – et plus généralement, les combattants islamistes – s’attaquent régulièrement aux convois de ravitaillement, qui empruntent notamment le col frontalier de Khyber, via la ville de Peshawar.

Par ailleurs, le volume des approvisonnements est même appelé à augmenter étant donné que 30.000 hommes supplémentaires sont attendus en Afghanistan pour renforcer le contingent américain. Cette situation oblige donc à diversifier les voies d’approvisionnement et cela passe par des discussions avec les pays de l’Asie centrale.

Depuis 2001, les Etats-Unis ont cherché à accroître leur influence dans cette région, notamment en ouvrant des bases aériennes en Ouzbékistan et au Kirghizstan.La première a été fermée en 2005 en raison d’une brouille entre Washington et Taschkent. Quant à la seconde, elle revêt désormais une « importance capitale » pour le Pentagone.

Autre acteur de premier plan dans la région, la Russie voit d’un très mauvais oeil ces incursions américaines dans sa zone d’influence, les pays de l’Asie centrale étant pour la plupart des anciennes républiques de la défunte Union soviétique.

Par ailleurs, d’autres sujets de fâcheries perturbent également les relations entre Moscou et Washington, tels que, par exemple, l’extension de l’Otan, avec les demandes d’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie et le projet américain de bouclier antimissile, qui prévoit des installations dans un autre ancien pré-carré soviétique, c’est à dire en Europe de l’Est. En cherchant à reprendre la main en Asie centrale, la Russie aurait ainsi moyen de pression sur aux Etats-Unis, pour qui le dossier afghan est prioritaire, ce qui peut toujours servir pour faire la décision lors de négocations futures.

L’annonce, le 4 février dernier, de la création de « forces armées collectives de réaction » par la Russie et six autres ex-républiques soviétiques de l’Asie centrale, dans le cadre de l’Organisation du traité de sécurité collective (ODKB ou OTSC), répond à l’objectif de Moscou de garder la mainmise sur sa zone d’influence.

Reste la question de la base américaine au Kirghizstan, que le Kremlin souhaite voir fermer. Le premier acte s’est joué en décembre dernier avec une « rumeur » faisant état de la volonté du président kirghiz de voir partir les Américains de son pays. L’affaire en est alors restée là, après la dissipation de quelques malentendus entre Washington et Bichkek. Actuellement, les Etats-Unis paieraient un loyer de 63 et 80 millions de dollars par an (selon les sources) pour pouvoir utiliser la base de Manas, ce qui est une somme appréciable pour l’économie d’un pays où le salaire mensuel moyen ne dépasse par les 70 dollars. L’argent étant le nerf de la guerre, cela a dû donner à réfléchir aux dirigeants kirghizes, aussi pro-russes qu’ils soient.

Le second acte a commencé le 18 janvier dernier sous la forme d’attaques informatiques. Comme pour l’Estonie en 2007 et la Géorgie en 2008, le Kirghizstan a été victime du même mode opératoire qui avait été observé en Estonie, en 2007 et l’an passé en Géorgie. En clair, les services Internet du pays ont été paralysés par des attaques dites de déni de service, qui consistent à saturer un serveur en multipliant artificiellement le nombre de requêtes auxquelles il ne peut plus répondre. Selon la société SecureWorks, basée à Atlanta, aux Etats-Unis, l’origine de ces attaques se situerait en … Russie.

Enfin, troisième et dernier acte, le prêt consenti par Moscou au Kirghizstan d’un montant de 2 milliards de dollars. A cela s’ajoute la participation de Bichkek à un fonds commun de 10 milliards de dollars au cas « où la situation deviendrait soudainement très critique pour un pays particulier », selon le président bélarusse Alexandre Loukachenko, qui est partie prenante de ce projet. Ce fonds sera alimenté à hauteur de 7,5 milliards de dollars par Moscou. Autant dire que les autres pays signataires compteront presque exclusivement sur le bon vouloir du Kremlin en cas difficultés économiques majeures.

Quoi qu’il en soit, ces offres financières russes, qui viennent en complément d’autres aides économiques, notamment dans le secteur énergétique, ne peuvent qu’avoir eu raison des hésitations – si tant est qu’il en ait eues – de M. Bakiev, le président Kirghiz. C’est ainsi qu’il a annoncé, alors qu’il était à Moscou, la rédaction d’un futur projet de loi visant à « dénoncer l’accord avec les Etats-Unis sur la présence de la base américaine au Kirghizstan ».

En déclarant que « la Russie (…) et les Etats d’Asie centrale sont prêts à une coopération totale et universelle avec les Etats-Unis et les autres Etats de la coalition dans la lutte contre le terrorisme dans la région », le chef du Kremlin, Dmitri Medvedev, fait de son pays un partenaire incontournable dans la région. Et Washington aurait tout intérêt à le ménager, du moins tant que la situation afghane ne se sera pas considérablement améliorée.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]