Chasse aux sorcières au Collège interarmées de défense

Le ministre de la Défense, Hervé Morin, a pris la décision, ce 5 février, de congédier purement et simplement le chercheur Aymeric Chauprade, titulaire de la chaire de géopolitique du Collège interarmées de défense (CID).

Officier de réserve de la marine, auteur prolifique de livres concernant les questions internationales et directeur de la Revue française de géopolitique (éditions Ellipses), Aymeric Chauprade est donc un chercheur connu et reconnu qui a sans doute eu le tort de s’être engagé aux côtés de Philippe de Villiers lors des élections européennes de 2004.

Comme on peut dès lors s’en douter, ce géopoliticien, hostile à l’adhésion de la Turquie au sein de l’Union européenne, a des convictions souverainistes qui vont en quelque sorte à contre courant de la pensée ambiante. Par ailleurs, il a osé être critique à l’égard du Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale, ce qui n’a pas été forcément bien vu eu égard à la position qu’il occupait au CID.

Quoi qu’il en soit, Jean Guisnel, qui anime le blog « Défense ouverte » sur le site de l’hebdomadaire Le Point, a fini par avoir son scalp. « Logiquement, s’agissant d’un spécialiste de géostratégie, Aymeric Chauprade s’intéresse au monde de ‘l’après-11-septembre’, dont il décline les évolutions d’une manière conforme à sa conception politique. Certes, c’est son droit. C’est tout juste si l’on se demande s’il est logique que le ministère de la Défense confie à un idéologue aux convictions aussi affichées, la chaire de géopolitique du CID«  a-t-il écrit.

Faudrait-il alors bannir les écrits de l’historien Jacques Bainville en raison de son engagement au sein de l’Action française alors que ses analyses passent aujourd’hui pour être pertinentes?

L’interrogation de Jean Guisnel sonne étrangement comme une accusation. Et pourquoi donc un souverainiste n’aurait-il pas le droit d’enseigner au CID, au même titre qu’un professeur qui aurait d’autres conceptions politiques? A-t-il fait du prosélytisme auprès de ses éléves afin de recruter des électeurs pour Philippe de Villiers? La réponse est bien évidemment non car, sinon, il faudrait expliquer pourquoi ses livres sont largement diffusés dans les écoles militaires si ils n’avaient pas la rigueur scientifique exigée pour la formation des futurs cadres des armées.

Cela étant, c’est sur la base de cet article de Jean Guisnel que le ministre de la Défense a viré sans trop d’égard le géopoliticien du CID,  sans même lui demander la moindre explication. « J’ai découvert un texte au travers duquel passent des relents inacceptables. Sur onze pages, on nous parle d’un complot israélo-américain imaginaire visant à la conquête du monde. Quand j’ai appris cela mardi soir, j’ai donné pour consigne au général Desportes, le directeur du Collège interarmées de défense, de ne pas conserver ce monsieur Chauprade dans son corps enseignant. Il n’a absolument rien à faire à l’École militaire » rapporte le journaliste de l’hebdomadaire, dans un billet aux allures d’un communiqué de victoire.

En fait, il est reproché à Aymeric Chauprade d’avoir présenté, sans prendre de distance, les différentes théories du complot censées expliquer les attentats du 11 septembre 2001, dans l’introduction de son dernier livre, « Chronique du choc des civilisations. » Selon lui, ces théories sont « une hypothèse qui ne manque pas d’argument à défaut de forcément convaincre » qui exprime la conviction de « ceux qui pensent qu’un machiavélique complot américano-israélien a été le point de départ d’une guerre américaine contre le reste du monde ».

Il faut bien admettre que lesdites théories du complot jouissent d’une certaine popularité. Il suffit de faire un tour d’horizon sur Internet pour seulement en avoir un mince aperçu. Leurs initiateurs – venant le plus souvent des extrêmes politiques – présentent les évènements d’une telle façon que celui qui n’est pas forcément au fait du dossier peut s’y laisser prendre. Le passage de Thierry Meyssan, dans une émission de Thierry Ardisson, en mars 2002, avait suscité un certain trouble parmi le public, trouble qui a bien du mal à se dissiper.

Par ailleurs, les tenants de ces théories du complot tordent les faits afin qu’ils puissent s’intégrer dans leurs thèses, au mépris même de la vérité. Ils retournent également la charge de la preuve : ce n’est pas à eux de démontrer qu’ils ont raison mais c’est à ceux qui croient en la version qu’ils appellent « officielle » de prouver ce qu’ils avancent.

Que « ces hypothèses ne manquent pas d’argument », c’est un fait. La littérature sur ce sujet est abondante et il suffit d’aborder la question dans un forum ou sur un blog pour être abreuvé de commentaires prenant la défense de telle ou telle théorie du complot.

Interrogé par le blog de Secret Défense de Jean-Dominique Merchet, qui a donné l’occasion à l’accusé de se défendre, Aymeric Chauprade reconnaît lui-même qu’il présente la thèse du complot américano-israélien de manière avantageuse mais sans la faire sienne. « Je souhaitais mettre en opposition deux façons de voir le monde, sachant que la moitié de l’humanité pense que les attentats du 11 septembre sont le fruit d’un tel complot. » Sans doute aurait-il dû le faire en prenant plus de distance et en employant les guillemets.

Malheureusement, Zone Militaire n’a pas eu l’occasion de lire le chapitre incriminé par Jean Guisnel. Cependant, dans son dernier numéro, le mensuel DSI a recommandé de dernier livre d’Aymeric Chauprade d’où il a été tité « à ceux qui souhaitent comprendre le monde dans lequel nous vivons ».

PS : Pour avoir publié, sur un site Internet aujourd’hui disparu, une contre-enquête visant à démonter les arguments présentés par le Réseau Voltaire en 2002, l’auteur de ce billet n’a aucune sympathie envers les théories du complot concernant les attentats du 11 septembre 2001. Le document est encore (gratuitement) disponible ici.

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