Décès du théoricien du « choc des civilisations »

La chute du mur de Berlin en 1989 et la disparition de l’Union soviétique avaient conduit certains intellectuels à penser que l’évolution de l’humanité vers la modernité, les valeurs libérales et l’économie de marché était « inexorable ». Cette thèse avait été exposée, dès 1992, par Francis Fukuyama dans un livre intitulé « La fin de l’histoire. »

Or, quelques années plus tard, Samuel Hutington, professeur de sciences politiques à Harvard, publie « Le Choc des civilisations » (Odile Jacob), un essai retentissant qui contredit la vision du monde développée par Fukuyama. Ainsi, selon cette thèse, les différences culturelles entre des blocs de civilisation (Occident, monde musulman, Afrique, Asie du Sud-Est) représentent des sources de conflits potentiels, comme pouvaient l’être les antagonismes idéologiques du XXe siècle.

« Dans ce monde nouveau, la source fondamentale et première de conflit ne sera ni idéologique ni économique. Les grandes divisions au sein de l’humanité et la source principale de conflit sont culturelles. Les Etats-nations resteront les acteurs les plus puissants sur la scène internationale, mais les conflits centraux de la politique globale opposeront des nations et des groupes relevant de civilisations différentes. Le choc des civilisations dominera la politique à l’échelle planétaire. Les lignes de fracture entre civilisations seront les lignes de front des batailles du futur », avait-il écrit.

S’appuyant sur Fernand Braudel pour qui « il serait ‘infantile’ de penser que la modernisation ou le ‘triomphe de la civilisation au singulier’ mettra un terme à la pluralité des cultures historiques incarnées depuis des siècles par les grandes civilisations du monde », Samuel Hutington avait estimé que cette modernisation renforçait les identités culturelles tout en « réduisant la puissance relative de l’Occident. »

La thèse du « Choc des civilisations » a suscité des débats et des controverses, notamment après les attentats du 11 septembre 2001. Pour certains, Hutington ne prenait pas suffisamment en compte l’interdépendance entre les différents blocs qu’il décrivait dans son essai. D’autres ont contesté sa vision d’un Occident assiégé avec le reste du monde. « Les événements donnent une certaine validité à mes théories. Je préférerais qu’il en aille autrement », répondait-il à ses détracteurs.

Né le 18 avril 1917, Samuel Hutington fut diplômé de l’université de Yale en 1935. Cinq ans plus tard, il commença une carrière d’enseignant à Harvard qui va durer près de 58 ans. Selon Jorge Dominguez, l’un des vice-doyens de la prestigieuse université américaine, Samuel Huntington aura été l’un des « géants de la science politique dans le monde au cours du dernier demi-siècle (…) Il avait le talent et l’intelligence pour formuler des analyses capables de résister au temps. »

Auteur de 17 essais et de 90 articles scientifiques concernant la politique étrangère, les affaires militaires ou encore la stratégie, Samuel Hutington s’est éteint le 24 décembre dernier, à l’âge de 81 ans, à Martha’s Vineyard (Massachusetts).

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