Revoilà le mollah Omar

Depuis qu’il a été contraint de se réfugier au Pakistan en raison de l’intervention militaire sous commandement américain en Afghanistan, en 2001, le mollah Mohammad Omar, le chef suprême des taliban, fait peu de déclarations publiques.

Cependant, l’agence de renseignement SITE, spécialisée dans la veille concernant la mouvance islamiste, a signalé, le 29 septembre, qu’il avait publié un communiqué sur le site Internet du mouvement taleb. Ainsi, le mollah Omar a fait un parallèle entre l’avenir qu’il promet aux forces occidentales avec ce qui est arrivé à l’armée Rouge quand cette dernière était intervenue en Afghanistan pour soutenir le régime communiste qui avait pris le pouvoir à Kaboul à l’issue d’un coup d’Etat sanglant, en 1978.

« Je le dis aux envahisseurs : si vous quittez notre pays, nous garantirons votre sécurité. Mais si vous persistez, vous serez défaits comme les Russes l’ont été avant vous, » a-t-il affirmé. Sauf que le chef de file du mouvement taleb a oublié quelques détails, comme par exemple le soutien financier et matériel des Américains aux moudjahidines lors de l’invasion soviétique ou encore le fait que les taliban n’ont pu prendre le pouvoir et contrôler qu’une partie du pays – le nord étant alors sous l’influence de l’alliance menée par le commandant Massoud – qu’à la faveur d’une longue guerre civile entre factions rivales.

« Les Américains, en dépit de leur technologie avancée, ont été incapables de prévoir leur défaite, mais avec l’aide de Dieu, ils reçoivent chaque jour les cadavres de leurs soldats et subissent de lourdes pertes humaines et financières », a déclaré le mollah Omar qui a eu aussi des mots contre le pouvoir en place à Kaboul. « Il y a quelques années, personne n’aurait pu prévoir que les Américains et leurs alliés se heurteraient à une telle résistance. Aujourd’hui, le président (ndlr : Hamid Karzaï) et ses ministres supplient pour qu’on leur donne de l’argent et des soldats, mais en vain », a-t-il fait valoir.

Comme on le voit, le mollah Omar mélange subtilement la rhétorique de la « libération nationale » contre les « envahisseurs » occidentaux à des paroles aux relents de guerre civile à l’encontre du gouvernement afghan. Si le mollah affiche une confiance absolue dans la victoire de ses troupes en soulignant que les forces de la coalition internationale « ont été incapables d’accomplir leurs objectifs » depuis qu’elles sont présentes dans le pays et qu’elles « n’y arriveraient pas » même si elles « essayent pendant 100 ans », il n’en reste pas moins que le mouvement taleb est également tenu en échec depuis 2001.

Cependant, l’insurrection menée par les taliban s’est intensifiée depuis au moins deux ans, notamment dans le sud du pays et, dans une moindre mesure, à l’est et il est d’ores et déjà acquis que l’année 2008 sera la plus meurtrière pour les troupes internationales déployées en Afghanistan depuis 2001, avec 221 soldats tués, pour la plupart américains. En clair, les taliban ne sont pas assez puissants pour s’imposer mais ils le sont suffisamment pour continuer à destabiliser une partie du pays, du moins tant que les forces de la coalition y seront présentes.

Pour le gouvernement afghan, et notamment Hamid Karzaï, la solution serait de négocier avec le mollah Omar, auquel il a demandé à ce « qu’il revienne en Afghanistan pour participer à la reconstruction du pays. » Le président Afghan a indiqué, le 30 septembre dernier, qu’il s’était adressé à l’Arabie Saoudite, qui a été, par ailleurs, un des rares pays, avec le Pakistan et les Emirats arabes unis, à reconnaître le régime taliban. De plus, le royaume saoudien a aidé les moudjahidines afghans dans leur combat contre les troupes soviétiques dans les années 1980.

De l’aveu même du président Karzaï, le roi Abdallah, gardien des lieux saints de l’Islam (avec La Mecque et Médine), a été sollicité « à plusieurs reprises, depuis deux ans » pour « aider à ramener la paix en Afghanistan, en tant que chef du monde musulman » et mener ainsi une médiation avec les dirigeants taliban.

Pour certains chefs tribaux afghans, il ne peut pas y avoir d’amélioration de la situation sans négociation avec les taliban, d’où l’appel lancé par le président Karzaï qui se serait également vu demander la même chose de la part de certains pays arabes lors de l’Assemblée générale des Nations unies à New York du mois dernier.

De son côté, la France s’est dite, par la voix de ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, « favorable à l’offre de dialogue (…) aux taliban, tout en estimant qu’il faut nouer des contacts avec les nationalistes mais exclure les partisans du jihad. » Le problème est que, par souci de simplification extrême, le terme « taliban » recouvre aussi bien les fidèles du mollah Omar, islamistes alliés d’Al Qaïda, les militants du Hezb-e-Islami du chef de guerre Hekmatyar, qui ne cache pas son amitié avec eux jusqu’à son prochain revirement ou encore des insurgés aux motivations nationalistes.

Or, le président Karzaï s’est adressé au mollah Omar et à lui seul, c’est à dire au plus haut représentant de la mouvance la plus radicale parmi les insurgés, c’est à dire aux taliban originels. Cela exclut les autres mouvements rebelles. Par ailleurs, pour négocier, il faut mettre quelque chose sur la table pour échanger des concessions. Que peuvent proposer les dirigeants taliban? Pour l’instant, pas grand chose, si ce n’est l’arrêt des violences dans les zones où ils sont présents. Se contenteront-ils de l’octroi de quelques provinces? Rien n’est moins sûr et de toute façon, on n’en est pas encore là. Par ailleurs, la légitimité à négocier pour le mouvement taleb reste à démontrer. Parlera-t-il en son nom ou en celui de tous les mouvements insurgés? Enfin, une dernière question se pose, et pas la moindre : quelle est la fiabilité de la parole du mollah Omar?

En revanche, si les négociations se limitent à accorder des amnisties à des taliban repentis, comme cela a été proposé par le passé, il y a de grandes chances pour qu’elles n’aboutissent à rien de bien concret. Or, il semblerait plutôt que le président Karzaï soit proche d’une position semblable, étant donné qu’il a fait la promesse de protéger les talibans qui souhaiteraient réintégrer la scène politique afghane.

Cela étant, il reste à voir comment sera accueillie, du côté des fidèles du mollah Omar, la médiation de l’Arabie Saoudite. Comme les talibans ont une proximité idéologique et religieuse avec Oussama Ben Laden et de ceux qui s’en réclament, il n’est pas certain que le roi Abdallah ait bonne presse à leurs yeux. Le 30 juillet dernier, le souverain saoudien avait été menacé de mort par le libyen Mohammed Hassan, alias Abou Yahya al-Libbi, un commandant d’Al-Qaïda, pour son action pour le dialogue inter-religieux. « Assimiler l’Islam aux autres religions est une trahison de l’Islam », avait-il affirmé dans un message vidéo diffusé par plusieurs fora islamistes.

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