L’Afghanistan divise les parlementaires français

Si il y a un point qui peut rassembler l’extrême gauche, le Parti communiste, les Verts et le Front national, c’est bien l’engagement militaire de la France en Afghanistan. Ainsi, au lendemain de l’embuscade d’Uzbeen, le 18 août dernier, où 10 militaires français ont perdu la vie, le président du FN, Jean-Marie Le Pen avait parlé de la « désastreuse politique d’alignement sur les Etats-Unis » du président Sarkozy avant d’estimer que « nos soldats n’avaient pas à se faire tuer pour l’oncle Sam. »

De son côté, la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) avait dénoncé « le soutien du gouvernement Sarkozy à la politique de l’impérialisme américain » et demandé le « retrait immédiat de toutes les troupes françaises d’Afghanistan », jugeant leur présence « motivée par le contrôle de la région et de ses ressources pétrolières. » Le porte-parole du mouvement, Olivier Besancenot, avait été jusqu’à parler de « sale guerre. »

Cette expression a été reprise par le député Vert Noël Mamère, lors du débat parlementaire du 22 septembre portant sur la poursuite ou non de l’intervention militaire de la France en Afghanistan, rendu possible après la révision constitutionnelle de juillet dernier. S’exprimant au nom du groupe GDR (PCF et Verts), le député-maire de Bègles n’a pas semblé bien maîtriser le sujet, parlant par exemple de « l’envoi de 700 soldats supplémentaires en Afghanistan, venant s’ajouter aux quelque 2.000 militaires français des forces spéciales (sic) déjà présents sur place » ou donnant du crédit à des rapports à l’origine douteuse, comme celui dont le quotidien canadien Globe and Mail s’est fait l’écho samedi dernier. Cela étant, le groupe GDR a purement et simplement demandé le retrait des forces françaises, estimant que l’intervention international en Afghanistan est un « échec ».

Finalement, il n’y a là rien d’étonnant. Par le passé, ces mouvements politiques ont toujours plus ou moins manifesté leur opposition aux opérations militaires extérieures de la France. En revanche, depuis 1978 et l’affaire de Kolwezi, les deux principaux partis de gouvernement, à savoir le Parti socialiste et l’UMP (sans oublier les centristes associés ou non) les ont toujours dans l’ensemble approuvées. Or, cette fois, il en a été autrement, les députés socialistes ayant décidé de voter contre la « prolongation de l’intervention des forces armées en Afghanistan. »

« Je veux le dire d’emblée : la France ne peut pas, au regard des valeurs qu’elle défend, se désengager brutalement de l’Afghanistan » a déclaré le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Jean-Marc Ayrault. « Nous ne votons pas contre la poursuite de l’engagement de la France en Afghanistan. Nous votons contre une conception politique et militaire qui nous a conduits dans une impasse » a-t-il ainsi expliqué.

Voter non à un engagement militaire que l’on veut voir maintenu est difficilement compréhensible. Quelques députés socialistes, dont Manuel Valls, avaient pourtant plaidé pour l’abstention, ce qui avait au moins le mérite d’être plus clair. Seulement, l’agenda du PS, avec le prochain congrès de Reims qui s’annonce, a certainement pesé sur la décision des parlementaires socialistes afin de ne pas radicaliser l’aile gauche du parti qui est hostile au maintien des troupes françaises en Afghanistan.

Pour justifier le vote de son groupe, Jean-Marc Ayrault s’en est pris à la stratégie actuellement menée par l’Otan. Et justement, le rapprochement annoncé de la France et de l’Alliance atlantique est un autre sujet de friction avec l’actuelle opposition – et voire même avec les gaullistes « orthodoxes » à droite. L’accusation de suivisme de la politique américaine n’est pas loin.

Pourtant, en 1991, quand le président Mitterrand avait engagé la division Daguet sous commandement américain lors de la première guerre du Golfe, cela n’avait fait tousser que Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de la Défense. De même qu’en 1999, dans l’affaire du Kosovo, les socialistes avaient soutenu l’engagement des troupes françaises aux côtés de l’Otan contre la Serbie, sans qu’il y ait eu, au préalable, une quelconque résolution des Nations unies autorisant le recours à la force.

Du côté du gouvernement et du groupe UMP, le Premier ministre, François Fillon, a rappelé que l’engagement français en Afghanistan a pour objectif « d’assurer notre sécurité collective » en évitant que ce pays « ne redevienne le sanctuaire du terrorisme international. » Les troupes françaises sont « auprès du peuple afghan, pour reconstruire un pays ruiné et longtemps déchiré » a-t-il déclaré. Cependant, le Premier ministre a indiqué que le « redressement » de l’Afghanistan est « une oeuvre lente et difficile », en faisant un parallèle avec l’ex-Yougoslavie ou « il a fallu plus de dix ans pour que (…) les conditions de paix s’imposent dans les coeurs et dans les faits ». « Penser que l’Afghanistan puisse aller plus vite sur le chemin de la concorde et de la prospérité est, à l’évidence, une illusion » a-t-il ajouté.

Pour François Fillon, un retrait des forces françaises d’afghanistan serait « laisser le peuple afghan aux mains de ses bourreaux », « nous exposer à la résurgence du terrorisme international », « rompre tous nos engagements internationaux », « lausser à nos partenaires le soin de combattre pour nous », « renoncer aux valeurs universelles pour lesquelles une majorité d’Afghans se bat et espère, mettre un coup d’arrêt au développement d’une société qui n’est pas condamnée au malheur éternel. »

S’exprimant pour le groupe UMP, Jean-François Copé s’est référé à un autre Premier ministre, britannique, en citant Winston Churchill. « Lorsqu’on choisit le déshonneur pour s’épargner la guerre, on finit par avoir et le déshonneur et la guerre. » Le député-maire de Meaux a interpellé sans détours ses collègues de l’opposition : « Si, demain, à la suite de votre vote, nous partions de Kaboul et si, demain, les lapidations de femmes reprenaient dans les stades de la capitale afghane, qui parmi vous oserait assumer son vote sans rougir? Qui parmi vous oserait encore parler sans honte de la vocation de la France au service des droits de l’homme? »

Au final, ce sont 343 députés qui ont voté en faveur du maintien des troupes françaises en Afghanistan et 210 s’y sont opposés. Un récent sondage réalisé par BVA pour le compte de l’Express et d’Orange indiquait que 62% des personnes interrogées étaient pour une désengagement de la France. On est bien loin de « l’unité nationale » pour soutenir les militaires français « en lutte contre le terrorisme », appelée de ses voeux par Hervé Morin, le ministre de la Défense.

En complément : le compte-rendu des débats

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]