Les soldats français, cibles de choix pour les talibans?

En juillet dernier, le géopolitologue Gérard Chaliand avait donné, dans les colonnes du quotidien Le Monde, une des raisons principales qui, selon lui, provoquerait l’échec de l’Otan en Afghanistan.

« Contrairement à une idée reçue, les talibans ont une meilleure compréhension de ce qui est stratégiquement important. Ils ont compris que le centre de gravité du conflit est la sensibilité de l’opinion occidentale qu’il faut frapper en tuant des soldats de l’OTAN, de préférence américains. Notre refus d’encaisser les pertes est notoire » avait-il alors affirmé.

S’appuyant sur les exemples du bombardement de Bouaké en Côte d’Ivoire (9 morts en novembre 2004) et de l’attaque du poste de Vrbanja en Bosnie (2 morts en mai 1995), François Duran, l’auteur du blog « Le Théâtre des Opérations », a cependant relativisé la sensibilité de l’opinion publique aux pertes humaines lors d’opérations militaires.

« Si le public (…) sait quel est l’EFR (ndlr : Etat Final recherché, autrement dit l’objectif à atteindre), s’il sait que ses soldats sont le mieux protégés, équipés et soutenus possibles, il acceptera le prix et la réalité de la guerre », écrit-il. « L’une des données à prendre en compte est donc le traitement médiatique, et la possible manipulation (voulue ou pas) de l’information qui orientera l’opinion dans un sens ou dans l’autre. Cette question de la perception est cruciale puisqu’elle détermine, par ricochet, l’attitude des décideurs politiques » ajoute-t-il encore.

Enfin, François Duran fait remarquer « qu’une certaine frange de l’opinion sera toujours opposée aux opérations extérieures, que celles-ci soient mortifères ou pas. Ces tragédies sont simplement pour elle l’occasion d’élever un peu plus la voix que d’habitude. Prudence, donc, face à ces manifestations d’indignation outragée… »

Suite à l’accrochage de la vallée d’Uzbeen qui a causé la mort de dix soldats français, Jean-Dominique Merchet, le journaliste spécialisé sur les questions militaires au journal Libération, s’est interrogé sur « capacité de résilience de notre pays, c’est à dire de sa capacité à encaisser des coups. » Selon lui, la visite du président Sarkozy à Kaboul, venu apporter son soutien au contingent français, serait justement un signe de fragilité de la France à accepter des pertes humaines.

« S’ils sont rationnels, les talibans ont compris depuis hier que les Français représentaient une cible de choix, eu égard à la résonnance politique et médiatique que leur mort suscite », a ainsi souligné le journaliste.

En 1983, le président Mitterrand s’était rendu à Beyrouth, juste après l’attentat contre le Drakkar qui avait tué 58 parachutistes du 1er RCP. Même si le bilan des combats de la vallée d’Uzbeen est moins lourd, il l’est suffisamment pour justifier le déplacement de Nicolas Sarkozy en Afghanistan. On ne peut pas reprocher au président de la République à la fois d’annuler une visite au contingent français déployé au Liban au printemps dernier et, dans le même temps, d’aller remonter le moral des troupes à Kaboul.

Ce n’est donc pas le voyage en lui-même qui est important, dans le fond, mais la détermination du chef de l’Etat à maintenir la mission des soldats français en Afghanistan, en dépit des pertes subies. Or, c’est là que le bât blesse justement.

En effet, jusqu’à présent, les opérations extérieures ont toujours fait l’objet d’un consensus au sein de la majeure partie de la classe politique. D’ailleurs, l’envoi de troupes à Kaboul avaient été décidé lors d’une période de cohabitation, comme la participation française aux opérations du Kosovo. C’est ce consensus rassemblant la classe politique, des monarchistes maurrassiens aux socialistes, appelé « Union sacrée », qui a permis à la France d’être victorieuse lors de la Première Guerre Mondiale.

Or, pour l’engagement français en Afghanistan, la classe politique est divisée. Sans surprise, l’extrême gauche y est opposée, tout comme l’extrême-droite. Au Parti socialiste, la tentation serait grande d’en faire un enjeu d’opposition au gouvernement. Deux tendances s’affirment au sein du PS : celle qui souhaite le retour des militaires français, représentée notamment par Henri Emmanuelli, l’autre, qui s’interroge sur la stratégie suivie et son efficacité. A droite, les souverainistes comme Nicolas Dupont-Aignan, en rupture de ban avec l’UMP, sont très critiques à l’égard de la politique afghane du président Sarkozy, accusé de faire jouer à la France le rôle de supplétif des Etats-Unis.

Ce qui pourrait déterminer les insugés islamistes de viser plus précisément les militaires français en Afghanistan serait donc plus la division de la classe politique que le voyage présidentiel à Kaboul. Ce manque de consensus est le point faible de la France. De plus, les doutes de l’arrière sont susceptibles de peser sur ceux qui sont en première ligne, en l’occurrence les militaires français, les risques étant d’autant mieux acceptés que la mission est claire et les objectifs bien définis.

Il revient donc au président – chef des armées – et au gouvernement d’expliquer à l’opinion les enjeux de cet engagement militaire, mais aussi d’afficher la détermination de la France à continuer la lutte contre le terrorisme. La force d’une chaîne étant égale à celle de son maillon le plus faible, nul doute que les talibans et leurs alliés islamistes profiteront de la moindre faille affichée par l’Otan en Afghanistan et ils porteront leurs attaques davantage vers les militaires français si jamais il s’avère que la France est justement ce maillon faible.

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