Le Livre blanc ne fait pas recette

Seulement 30 députés ont été présents dans l’Hémicycle, hier, à l’occasion du débat concernant le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. C’est peu pour un sujet qui touche non seulement à l’avenir de l’armée française mais aussi à celui de la puissance et de l’influence de la France dans le monde, d’autant plus que les problémes de défense font partie des missions régaliennes de l’Etat. Mais quand la réforme annoncée de l’audiovisuel public fait plus de vagues que celle des armées, l’on peut se dire que ce n’est guère étonnant après tout.

Quoi qu’il en soit, les députés présents à cette séance auront pu entendre le Premier ministre, François Fillon, annoncer que 320 millions d’euros seront consacrés aux villes qui vont perdre leur caserne ou leur base à l’issue des derniers arbitrages concernant la future carte militaire. « Les communes les plus touchées feront l’objet d’un accompagnement personnalisé », a ainsi promis M. Fillon. « Des contrats de site ou des conventions d’aménagement seront proposés »; a-t-il fait encore valoir.

Comme l’on pouvait s’y attendre, la réforme des armées et les conclusions du Livre blanc ont été critiquées par les députés de l’opposition. Ces derniers reprochent la politique du « fait accompli » qui aurait pesé sur la rédaction du Livre blanc. On s’en souvient, les deux parlementaires socialistes nommés à la commission présidée par Jean-Claude Mallet en avaient démissionné en la qualifiant de « chambre d’enregistrement des décisions » du chef de l’Etat. Les députés du groupe socialiste qui se sont exprimés ont également dénoncé la « logique budgétaire et non stratégique » de la réforme des armées et le retour de la France au sein du commandement intégré de l’Otan.

D’autres aspects, plus locaux, de la réforme ont été également abordés par l’opposition. Ainsi, le député des Hautes-Alpes (PRG), Joël Giraud s’est inquiété de la disparition programmée des centres d’aguerrissement en montagne de Briançon et de Barcelonnette, qui, de par leur situation, présentent des caractéristiques proches de celles des territoires où sont déployées les forces françaises. Rappelant la proposition des élus locaux « d’offrir à l’Europe un centre interamées européen d’entraînement et d’aguerrissement en montagne », M. Giraut a interpellé le ministre de la Défense sur les conséquences de ces fermetures. « Le jour où des soldats français tomberont en Afghanistan parce qu’ils auront été mal entraînés, il sera trop tard et les Français demanderont des comptes au président de la République qui avait annoncé faire de la sécurité des personnels une priorité. »

A propos des engagements pris par le chef de l’Etat alors qu’il était candidat à l’Elysée, le report de la décision concernant la construction du second porte-avions a été brocardée par Gilbert Le Bris, membre de la Commission de la défense nationale et des forces armées et député PS du Finistère. « Reporter la décision aux alentours de 2012, date dont la pertinence est purement électorale, c’est rendre inutile les quelque 200 millions d’euros déjà dépenses, dont plus de la moitié pour aider au dessin des porte-avions anglais. (…) C’est rendre vain les efforts d’une équipe de 80 spécialistes travaillant sur ce dossier depuis 2005. C’est perdre les 1.500 emplois créés pour la durée de la construction. C’est nier la loi de programmation 2003-2008 qui entérinait cet investissement », a-t-il déclaré.

« C’est enfin prendre les Français pour des dupes, et les militaires pour des naïfs : ce report s’apparente purement et simplement à une forme de soins palliatifs, pour un projet que la droite repousse sans cesse, faute d’avouer son renoncement – qu’il faut pourtant constater », a-t-il encore accusé, oubliant sans doute les déclarations de la candidate socialiste à la dernière élection présidentielle, qui avait indiqué vouloir transférer les crédits nécessaires à la conception d’un second porte-avions au budget de l’Education nationale. »

Du côté de la majorité, les interventions au débat ont été contrastées. Si, dans l’ensemble, les députés UMP ne contestent pas le bien-fondé de la réforme des armées, certains ont néanmoins exprimé quelques inquiétudes et questions.

Marguerite Lamour, député du Finistère, qui a également regretté le report de la construction du second porte-avions, s’est interrogée sur l’avenir de la Marine nationale et plus précisément de la composante navale de la dissuasion, qu’elle souhaiterait voir « renforcée ». L’élue bretonne a également fait part de son souci pour les employés de DCNS. « La modification des programmes, la réduction des contrats auront des conséquences sur le plan de charge des industries, en particuliers DCNS. (…) Les salariés sont inquiets : l’entreprise, privatisée en 2003, a connu des mutations importantes; les personnels ont accompli de réels efforts d’adaptation aux contraintes de leur nouveau statut », a-t-elle déclaré.

« N’est-il pas contradictoire de prétendre qu’il faut moins de chars, de canons d’artillerie et d’avions de chasse, puisqu’il n’y a aucun risque d’attaque sur le sol national mais qu’il faut une défense anti-missiles, une numérisation de l’espace de bataille ou des équipements Felin, tous systèmes conçus pour un conflit majeur de type conventionnel sur notre territoire? » s’est, quant à lui, interrogé Philippe Vitel, le vice-président de la Commission de la défense nationale.

Pour ce député du Var, « il faut aller à l’essentiel et fixer des priorité, dans le temps comme sur les programmes. » Parmi les urgences, M. Vitel a cité le remplacement des matériels les plus obsolètes par les A-400 M, les hélicoptères NH90, les ravitailleurs MRTT ou encore les VBCI et les moyens spatiaux, sans oublier « les programmes de cohérence opérationnelle pour l’efficacité et l’équipement individuel des combattants. » Ce dernier point avait fait l’objet d’une lettre adressée par le général Cuche au général Georgelin en décembre 2007 et dans laquelle il dénonçait « la paupérisation globale de l’armée de Terre ».

Selon M. Vitel, il est également « indispensable de développer un système de réserves opérationnelles afin de permettre une montée en puissance rapide de notre défense, avec la mise sur pied d’unités nombreuses dans chacune des trois armées. » Notons que ce point n’avait pas été abordé jusqu’à présent. Pourtant, les réservistes constituent un élément essentiel pour la préservation du lien armée-nation, qui a fait l’objet d’un long développement du député-maire UMP de Saint-Manté, Patrick Baudouin.

Il est vrai que ce lien, requalifié « d’esprit de défense » par M. Beaudouin, risque d’être mis à mal par les restructurations annoncées. Il existe en effet des relations fortes entre certaines villes et leur régiment. Comme l’a rappelé Philippe Folliot (NC), ardent partisan de la réforme, Castres, dont il est l’élu, est « heureux d’avoir le 8e Régiment de Parachutistes d’Infanterie de Marine. » On pourrait dire la même chose à propos de Dieuze avec le 13e RDP et Noyon avec le Régiment de Marche du Tchad.

L’intervention de Michel Voisin (UMP, Ain) a été marquée par une affirmation que n’auraient pas renié le groupe Surcouf. « Les satellites sont certes importants, mais gardons-nous de penser que le tout-technologique est la solution miracle. Le développement des satellites ne résoudra pas le problème de nos matériels déficients, obsolescents », a-t-il affirmé. « Je ne crois pas que « Robocop » soit la solution idéale; nos hommes doivent être protégés et bien équipés, et ils doivent surtout avoir la confiance des gouvernants et de la population. » a-t-il encore ajouté.

Les critiques les plus dures venant de la majortié sont venues du courant gaulliste. Après avoir démontré que l’effort militaire français serait, in fine, inférieur en valeur absolue à celui de l’Allemagne selon les critères de l’Otan, Nicolas Dupont-Aignan, en rupture de ban avec l’UMP, s’en est pris avec vigueur à la réintégration complète de la France au sein de l’Alliance atlantique. « Vous invoquez de Gaulle, mais c’est pour couvrir une politique à la Pleven » a-t-il lancé. Le député souverainiste en a appelé à une autre politique de défense, en citant le général de Gaulle : « Quand on ne veut pas se défendre, ou bien on est conquis par certins ou bien on est protégés par d’autres. »

Bien qu’appartenant encore au groupe UMP, le villepiniste Jean-Pierre Grand et Jacques Myard ne pouvaient que souscrire aux propos du député de l’Essonne. Au sujet des moyens alloués aux armées et au plan d’économies avancés pour investir dans les matériels, M. Myard s’est emporté. « Des économies? Chiche ! Remettez à plat le budget de l’Union européenne et vous gagnerez 10 milliards dès l’année prochaine, remettez à plat les régions, organismes dispendieux gouvernés par des satrapes et qui font tanguer l’unité nationale, remettez à plat les divers machin et bidules qui balkanisent l’Etat et vous trouverez facilement 10 à 20 milliards immédiatement! » a-t-il affirmé.

Comme on le voit, le retour de la France dans l’Otan ne fait pas vraiment l’unanimité, y compris dans les rangs de la majorité, ou du moins chez ceux qui se revendiquent du gaullisme. La « vigilance » et l’inquiétude dont certains élus ont fait part peuvent faire penser que l’orientation donnée à l’armée française ne fait pas l’objet d’un consensus indiscutable.

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