Une nouvelle ligne Maginot? (MàJ)

« La vérité, c’est qu’il faut arrêter de croire que notre armée se mesure à la hauteur de ses seuls effectifs. Il faut une armée équipée, entraînée, modernisée. Dans le contexte financier dont j’ai parlé, il faut des choix et il faut regarder la situation telle qu’elle est » a ainsi déclaré le président Sarkozy lors de son discours portant sur la réforme des armées tenu devant près de 3.000 militaires réunis à Paris le 17 juin dernier.

A cette occasion, le chef de l’Etat a annoncé les orientations qui ont été établies à partir des recommandations du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale pour répondre aux nouvelles menaces. Ainsi, un effort sensible sera fait pour doubler les crédits affectés au renseignement spatiale et un commandement interarmées pour l’espace sera créé.

Le président Sarkozy a par ailleurs annoncé le développement d’un système de détection et d’alerte avancée de tirs de missiles balistiques. La Russie et surtout les Etats-Unis disposent de cette capacité de détection depuis plus de quarante ans, notamment avec leurs satellites géostationnaires DSP-I (Defense Support Program – Improved). Les Américains travaillent actuellement à un nouveau programme, baptisé SBIRS (Space-Based Infrared System) qui en plus d’observer des tirs de missiles sera également capable d’obtenir des renseignements opérationnels en cas d’engagement classique. Les coûts de développement de ce système pourraient atteindre les 20 milliards de dollars d’ici à 2020.

La France a quant à elle déjà lancé un programme de recherche pour acquérir cette capacité d’alerte avancée. Dès 2004, la Direction générale pour l’armement (DGA) a en effet signé un contrat de 124 millions d’euros avec EADS Astrium pour la maîtrise d’oeuvre associé à Alcatel Space (aujourd’hui Thales Alenia Space) pour la conception d’un démonstrateur afin de valider les technologies nécessaires à un tel programme. Le projet, appelé SPIRALE (Système Préparatoire Infra-Rouge pour l’ALErte) repose sur deux microsatellites de 120kg de masse, placés en orbite géostationnaire.

Le problème de la prolifération de missiles balistiques dans le monde a été évoqué par le président Sarkozy pour justifier le développement de ce système de détection et d’alerte avancée. « Un nombre croissant de pays vont disposer de missiles balistiques dont il faut bien le dire que la portée s’allonge jusqu’à atteindre plusieurs milliers de kilomètres, jusqu’à pouvoir frapper l’Europe », a-t-il déclaré.

Actuellement, les pays qui disposent de tels missiles sont connus et leur nombre est limité. La plupart du temps, leurs vecteurs ont été conçus à partir d’engins fournis par la Russie (les Scud étant aux missiles ce que la Kalashnikov est aux fusils). La Corée du Nord, classée parmi les Etats voyous (« Rogue State »), a joué un rôle non négligeable d’ailleurs dans le transfert de technologies liées aux missiles balistiques, de même que la Chine qui en a vendu à l’Arabie Saoudite et qui a aidé le Pakistan à développer son arsenal.

C’est pour, entre autre, « surveiller la prolifération de missiles balistiques » que la commission du Livre blanc a donc recommandé l’acquisition d’un système de détection et d’alerte avancée. Il s’agit pour la France de disposer d’une autonomie d’appréciation, et donc de décision. Vu sous cet angle, un tel programme semble pertinent car en cette matière, le pouvoir politique est actuellement dépendant des informations que veulent bien fournir les Etats-Unis, les seuls alliés qui disposent comme on l’a vu de ce système de détection et d’alerte avancée.

Pour les rédacteurs du Livre blanc, ce dernier « ne constitue pas à lui seul une défense contre les missiles balistiques » mais il est « un préalable indispensable à tout système de défense à base de missiles intercepteurs. »

Or, dans un rapport intitulé « les enjeux stratégiques et industriels du secteur spatial », déposé en février 2008, les députés Serge Grouard et Odile Saugues ont indiqué qu’un système d’alerte avancé ne prenait « tout son sens que dans le cadre de la mise en place d’une défense antimissile » et qu’il devait par conséquent être complété « par des moyens d’interception. »

En d’autres termes, quand la France se sera dotée de ce système, elle pourra voir partir des missiles, suivre leur trajectoire jusque sur son sol mais restera néanmoins incapable de les arrêter et d’éviter ainsi le pire. On touche ici à la limite de l’argumentaire donné pour justifier l’acquisition de cette capacité, qui devrait coûter entre 500 millions et 1 milliard d’euros au minimum. Cela fait d’ailleurs penser à la Ligne Maginot, dont la construction s’est faite aux dépens de l’équipement de l’armée française (l’armée de l’Air disposait, en mai-juin 1940 d’une trentaine de Dewoitine 520, le seul appareil aussi performant que ceux équipant la Luftwaffe de l’époque). On verra alors passer le désastre à venir sans pouvoir l’arrêter.

« Favoriser l’alerte de la population » est une deuxième raison avancée par la commission du Livre blanc en faveur de ce système de détection de tirs de missiles balistiques. Sachant que dans le meilleur des cas, un tel engin mettrait une trentaine de minutes au maximum pour atteindre la France, le délai pour mettre à l’abri les « populations concernées » par le point de chute d’un missile nucléaire paraît trop court, évacuer, sans panique, une ville comme Paris en un quart d’heure étant impossible.

Mais, si cette éventualité finit par arriver un jour, cela voudra dire que notre doctrine concernant l’emploi de l’arme nucléaire aura échoué. En effet, pour la France, et comme l’indique Pascal Boniface, de l’IRIS, un missile nucléaire est avant tout une arme politique : il sert à empêcher la guerre et non à la gagner. D’où la nécessité de « déterminer l’origine des tirs de missiles », qui est le troisième argument donné par le Livre blanc en faveur de ce système de détection. Cela permettrait ainsi de « contribuer » à identifier l’agresseur et de renforcer ainsi la crédibilité de la dissuasion.

En effet, du temps de la Guerre froide, la menace était clairement identifiée, même si certains pays aujourd’hui dits « émergents » cherchaient à se procurer des missiles balistiques. Or, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Cela dit, on notera au passage que cette affirmation contenue dans le Livre blanc pourrait laisser croire que la France ne serait pas actuellement en mesure d’identifier avec précision un pays qui l’aurait agressée.

De plus, rien n’est dit sur la détection d’un tir de missile à partir d’un sous-marin lanceur d’engins (SNLE). Le club des nations possédant cette capacité est très fermé car sa mise au point est extrêmement compliquée. Deux pays cherchent à y entrer. En effet, l’Inde a récemment réalisé avec succès un essai dans ce but alors que la Chine semble avoir des difficultés pour obtenir ce savoir-faire.

Enfin, comme l’a souligné le président, il faut faire des choix. Alors qu’il a été décidé lors du sommet de Bucarest du 2 avril dernier que le futur bouclier antimissile américain profitera aux pays membres de l’Otan – que la France pourrait d’ailleurs réintégrer pleinement – et compte tenu de la faible probabilité qu’un Etat puisse, du jour au lendemain, devenir hostile et envoyer un échantillon de son éventuel savoir-faire balistique sur la France ou un pays de l’Union européenne, l’urgence de la mise en place de ce système de détection et d’alerte avancée peut être remise en question. D’autant plus que d’autres dossiers sont prioritaires, comme celui du second porte-avions ou encore celui du maintien, voire du renforcement de capacités opérationnelles conventionnelles pour faire face aux menaces d’un monde toujours aussi dangeureux.

Plus sur le sujet :La Dissuasion nucléaire est-elle encore nécessaire dans le contexte géostratégique actuel? | Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (IHEDN)

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